La transformation rapide du Kazakhstan et ses initiatives stratégiques l’ont positionné comme un acteur central en Asie centrale, notamment dans ses relations économiques et diplomatiques avec la Suisse. En tant que l’un des principaux investisseurs étrangers au Kazakhstan, la Suisse participe au développement économique de la région. Ce partenariat est soutenu par une série d’investissements robustes et de projets collaboratifs qui vont de l’infrastructure et de la logistique au transfert de technologie et à la durabilité environnementale. L’influence suisse est évidente dans les projets ambitieux du Kazakhstan dans divers secteurs, y compris la pharmacie, l’énergie et les transports. Alors que le Kazakhstan continue de moderniser son économie à travers des réformes libérales et vise à renforcer son statut de hub de transit, la coopération stratégique entre les deux nations devrait s’approfondir, facilitée par des accords et des intérêts mutuels en faveur d’une croissance durable et inclusive. Rencontre avec Kairat Sarzhanov, Ambassadeur du Kazakhstan en Suisse, alors que le pays s’apprête à fêter le 33e anniversaire de son indépendance le 16 décembre prochain.
Propos recueillis par Rohan Sant
Quels sont les moteurs clés du partenariat économique actif entre la Suisse et le Kazakhstan?
La Suisse est l’un des partenaires les plus importants du Kazakhstan en Europe. Des contacts constants aux niveaux les plus élevés, une compréhension mutuelle totale sur les questions politiques et une coopération bilatérale dynamique offrent de vastes opportunités pour approfondir les échanges commerciaux et économiques. Selon le Concept de politique étrangère pour 2024-2027, la Confédération considère le Kazakhstan comme son principal partenaire économique en Asie centrale, comme en témoigne le développement constant de la coopération dans les domaines du commerce et des investissements. Cette année a été marquée par une dynamique particulière dans les échanges bilatéraux. En février, le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan, Murat Nurtleu, s’est rendu à Genève, où il a mené des discussions avec le chef du Département fédéral des affaires étrangères, Ignazio Cassis. Les deux diplomates se sont également rencontrés en septembre à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. En mars, le président de la Majilis (chambre basse du Parlement kazakh), Yerlan Koshanov, a effectué une visite officielle à Genève et à Berne, donnant un nouvel élan à la coopération bilatérale. En octobre, des consultations politiques intergouvernementales se sont tenues à Astana. En novembre, le procureur général du Kazakhstan, Berik Asylov, s’est rendu à Berne pour des discussions officielles avec ses homologues suisses.
Outre ces contacts de haut niveau, les relations directes entre entreprises (B2B) jouent un rôle fondamental dans le développement des échanges commerciaux et économiques. Les coprésidents du Conseil d’affaires Kazakhstan-Suisse, Kazakhstan Temir Zholy et Stadler Rail, prévoient une réunion en 2025 avec la participation des acteurs économiques des deux pays. En plus du Conseil d’affaires, un autre mécanisme efficace pour le développement réussi de la coopération économique est la Commission intergouvernementale kazakho-suisse pour le commerce et la coopération économique.
Il convient également de souligner le rôle actif de certaines institutions spécialisées, telles que l’agence d’attraction des investissements « KAZAKH INVEST », l’agence suisse « Switzerland Global Enterprise » et la Chambre de commerce mixte Suisse-Europe de l’Est, Asie centrale et Caucase du Sud (JCC), ainsi que l’institut des consuls honoraires. Tous contribuent activement au développement de ce partenariat économique.
La Suisse est l’un des trois premiers investisseurs étrangers au Kazakhstan. Quels sont les facteurs clés qui attirent les investisseurs suisses dans le pays?
Le Kazakhstan a parcouru un long chemin en peu de temps grâce à des réformes politiques systémiques et s’est lancé dans la modernisation de l’économie avec un cap vers une libéralisation cohérente et dynamique. Nous avons entamé la transition vers un nouveau modèle économique basé sur les principes d’équité, d’inclusivité, de pragmatisme et offrant une base solide pour améliorer le bien-être de tous. Dans les conditions géopolitiques actuelles, le Kazakhstan maintient une stabilité politique et économique, ce qui est un facteur majeur d’attraction pour les investisseurs étrangers. Nos réserves internationales dépassent les 100 milliards de dollars, assurant également une stabilité économique. L’année dernière, l’économie nationale a crû de 5,1% et de 4% au cours des neuf premiers mois de 2024, portée par le développement du secteur non ressources. Le Kazakhstan est un État à économie ouverte et de marché, avec un cadre juridique clair. Les grands avantages du pays sont ses importantes réserves de ressources naturelles et un capital humain significatif, ainsi que sa position géographique stratégique le long des routes commerciales mondiales en pleine croissance. En tant que plus grand hub de transit de la région, nous avons accès à des marchés majeurs avec une capacité clientèle bien supérieure à un milliard, incluant la Chine, la Russie et les pays d’Asie centrale. Je tiens à souligner que l’environnement d’affaires favorable et compétitif du Kazakhstan est confirmé par des classements internationaux crédibles. Récemment, l’agence de notation internationale Moody’s a relevé notre note de Baa2 à Baa1, invoquant que les réformes en cours du cadre institutionnel et politique, combinées à un élan soutenu dans le changement économique loin des hydrocarbures, continueront de soutenir l’économie du Kazakhstan. Ce sont là autant de raisons qui nous permettent d’attirer des investisseurs et nous sommes notamment fiers de voir que la Suisse figure dans le top 3 des investisseurs étrangers au Kazakhstan.
Le commerce bilatéral entre le Kazakhstan et la Suisse a atteint 1,4 milliard de dollars en 2023. Quels produits ou industries spécifiques voyez-vous comme des domaines de croissance dans ce partenariat?
De janvier à octobre de cette année, le commerce bilatéral a atteint 1,426 milliard de dollars, dont 1,06 milliard de dollars d’exportations du Kazakhstan, incluant le pétrole (896 millions de dollars), l’argent, l’aluminium et les métaux précieux. En retour, nous importons de Suisse des produits des industries horlogère et chimique. Nous travaillons à développer notre partenariat mutuellement bénéfique en élargissant le panier d’exportations du Kazakhstan. Nous venons d’ailleurs de soumettre à la Suisse une liste de quelque 90 nouveaux produits issus des industries métallurgique, pétrochimique, alimentaire et de construction «Made in Kazakhstan».
Comment le Kazakhstan prévoit-il de renforcer la collaboration directe entre les cantons suisses et les régions kazakhes, et quel rôle les mémorandums d’entente peuvent-ils jouer dans ce processus?
Le développement de la diplomatie interrégionale est une partie importante de la promotion de nos relations bilatérales, et il y a beaucoup de potentiel inexploité dans ce domaine. Par exemple, en 2016, les villes d’Almaty et de Lugano ont signé un mémorandum de coopération, suivi l’année suivante par l’établissement de liens entre la région d’Almaty et le canton du Tessin. Nous sommes convaincus que nous devons développer davantage les interactions au niveau régional. Actuellement, nous examinons les possibilités d’établir des liens directs entre les villes capitales – Astana et Berne. Un autre vecteur prometteur serait la promotion des liens entre les villes d’importance économique, de transport et culturelle, comme par exemple, Bâle et Shymkent. Je suis convaincu que l’interaction entre ces régions serait mutuellement bénéfique et aurait un impact positif sur l’ensemble de la coopération bilatérale.
Quels secteurs prioritaires, tels que l’énergie, la pharmacie ou le tourisme, offrent les opportunités les plus significatives pour les investisseurs suisses, et quelles incitations sont en place?
Le marché kazakh est une rampe de lancement efficace pour les projets d’investissement conjoints dans des conditions mutuellement bénéfiques dans les secteurs prioritaires de l’économie tels que l’industrie alimentaire, l’exploration géologique et la fabrication, la chimie et la pétrochimie, la pharmacie, la mécanique, l’énergie, le tourisme et les services financiers. Dans tous ces domaines, la Suisse est en bonne position, tandis que le Kazakhstan est prêt à offrir des conditions optimales pour le développement des affaires. Par exemple, Glencore est présent au Kazakhstan depuis 1997 et apporte une contribution significative au développement de l’industrie minière. Nous nous engageons à explorer de nouveaux domaines de coopération. La production de trains de voyageurs par Stadler Rail est en cours de mise en œuvre. Je suis convaincu que ce grand projet conjoint avec le transporteur ferroviaire national du Kazakhstan peut renforcer le développement industriel et infrastructurel du pays dans les transports et la logistique. Sa réalisation offrira à la Suisse un accès à de nouveaux marchés et ouvrira de nouvelles opportunités pour l’industrie suisse.
Le Kazakhstan vise à devenir un hub de transit central en Eurasie. Quel rôle envisagez-vous pour les entreprises suisses dans le développement des routes Transcaspienne et du Corridor Central?
La réalisation du potentiel de transport et de logistique est d’une importance stratégique pour le Kazakhstan. Nous assistons à la formation d’une nouvelle géographie économique mondiale. Le Kazakhstan est au carrefour des routes reliant le Nord et le Sud, l’Ouest et l’Est mondiaux. Nous mettons en œuvre des plans pour faire du Kazakhstan un grand hub de transit en Eurasie, en nous concentrant sur des itinéraires clés tels que la route Transcaspienne, et en visant une multiplication par cinq du trafic actuel, grâce à l’expansion de la capacité portuaire sur la mer Noire le long du Corridor Central pour relier le mégaprojet Belt and Road de la Chine à nos initiatives nationales, et le corridor international Nord-Sud, donnant au Kazakhstan un accès aux ports du golfe Persique. Le Kazakhstan est déjà un lien fiable pour près de 80% du trafic de transit entre l’Asie et l’Europe. Nous voyons de grandes opportunités pour les partenaires suisses dans cette direction et appelons la Suisse à investir dans le développement de l’infrastructure de transport. En particulier, nous sommes intéressés par une coopération avec la Mediterranean Shipping Company, la plus grande compagnie de navigation au monde, et la société de transport et logistique mondiale Kuehne+Nagel. À l’heure actuelle, 13 corridors de transit traversent le territoire de notre pays, incluant 5 chemins de fer. Nous avons également 2 ports maritimes et 24 aéroports assurant un transport de fret rapide. Les partenaires suisses sont les bienvenus pour soutenir le développement de cette infrastructure – le Corridor Central est devenu stratégiquement important pour un commerce Est-Ouest plus rapide.
Avec le Kazakhstan à la présidence du Fonds international pour la sauvegarde de la mer d’Aral en 2024, comment l’expertise suisse en diplomatie de l’eau et technologies durables peut-elle contribuer à résoudre les défis régionaux de l’eau?
Nous saluons les efforts de la Suisse dans le domaine de la gestion des ressources en eau en Asie centrale. Cette question a un impact indirect sur les problèmes d’énergie, de nourriture et de sécurité. Nous soutenons une coordination plus étroite des efforts dans le cadre du projet Blue Peace Central Asia et exprimons notre volonté de transformer la question de l’eau d’une source potentielle de conflit en un instrument potentiel de coopération et de paix. Les problèmes environnementaux de la mer d’Aral nécessitent une solution urgente, et le Kazakhstan, en tant que président du Fonds international pour la sauvegarde de la mer d’Aral pour la période 2024-2026, travaille dur pour mettre en lumière ce problème et mobiliser les ressources nécessaires pour poursuivre une approche à multiples facettes. En particulier, notre pays vise à créer un mécanisme régional pour l’utilisation des ressources en eau et énergie en Asie centrale, à introduire un système de comptabilité automatisé unifié, à assurer une meilleure surveillance et distribution des ressources en eau dans le bassin de la mer d’Aral. Afin d’éviter les conséquences globales de ce problème environnemental, une plus grande implication de la communauté internationale est requise. La Suisse a tous les atouts à sa disposition pour participer activement à la résolution de ce problème. En particulier, nous estimons qu’il serait bénéfique d’établir des contacts entre l’Agence suisse pour le développement et la coopération (DDC) et ses homologues kazakhs.
Des entreprises suisses comme Roche et Stadler Rail sont activement impliquées au Kazakhstan. Comment le gouvernement facilite-t-il le transfert des technologies et innovations suisses aux industries locales?
La Suisse apporte une contribution significative au développement de notre pays en tant que source d’innovation et de technologies avancées. Tous les projets impliquant la Suisse reposent sur une coopération étroite avec le monde des affaires local, permettant un échange dynamique de connaissances et d’expérience. Les entreprises suisses élargissent activement leur présence dans notre pays, développant toutes les étapes du partenariat – du marché d’exportation aux sites de production. À cet égard, je souhaite mentionner le travail actif de l’agence de promotion «KAZAKH INVEST».
Pouvez-vous fournir une liste exhaustive des entreprises suisses actives au Kazakhstan?
Selon nos statistiques, environ 400 entreprises à capital suisse sont représentées au Kazakhstan, incluant Roche et Novartis (pharmacie), Philip Morris International et Japan Tobacco International (industrie du tabac), Syngenta et Swissgrow (agrochimie, fertilisants), INOKS Capital (agrobusiness), SGS (certification), Mabco Construction (construction), Ammann Group (machinerie de construction routière), Clariant, Sika (industrie chimique), Comlux (aviation privée) et d’autres. De plus, le Kazakhstan et la Suisse coopèrent avec succès dans le domaine de la mécanique (Stadler), l’exploration et la production (Glencore), l’ingénierie électrique (ABB), etc. Outre les capitaines d’entreprise, de nombreuses petites et moyennes entreprises suisses opèrent et développent avec succès leurs projets dans notre pays.
Au-delà des liens économiques, quelles initiatives sont prévues pour renforcer les connexions culturelles et interpersonnelles entre les peuples du Kazakhstan et de la Suisse?
Notre partenariat politique et économique est dynamique et fructueux. Afin de donner davantage de substance à nos relations bilatérales, nous cherchons à atteindre un niveau d’interaction similaire dans les domaines de la culture et du tourisme, en renforçant les liens entre nos populations. Malgré des échanges culturels ponctuels, le Kazakhstan, l’un des pays les plus développés de la région et de l’espace post-soviétique, reste relativement méconnu du public suisse. Nous estimons qu’il reste beaucoup à faire des deux côtés. Dans un avenir proche, nous prévoyons d’organiser des visites de délégations d’organismes étatiques dans le domaine de la culture. Le Kazakhstan possède un patrimoine historique important, des paysages variés et une nature d’une beauté exceptionnelle. L’intensification des échanges culturels au niveau intergouvernemental et l’augmentation du flux touristique vers le Kazakhstan contribueraient à faire mieux connaître notre pays en Suisse et à approfondir notre partenariat multiforme. À cet égard, je tiens à souligner que le Musée historique de Berne abrite une remarquable collection de tapis kazakhs et d’armes traditionnelles offertes au diplomate et voyageur suisse Henri Moser lors de son séjour dans notre pays au milieu du XIXᵉ siècle.
La campagne « Born Bold » vise à positionner le Kazakhstan comme un hub dynamique et innovant en Asie centrale. Comment cette vision s’aligne-t-elle avec vos efforts pour attirer les investissements suisses et renforcer les liens bilatéraux?
Le président Tokayev a dévoilé la vision de la campagne Born Bold du Kazakhstan lors de son discours à la cérémonie d’ouverture des Jeux mondiaux des nomades le 8 septembre dernier. Il a souligné que les nomades sont «nés courageux», faisant référence à la capacité inhérente du peuple kazakh à affronter des circonstances difficiles avec force et résilience. La campagne internationale Born Bold est conçue pour publiciser les réalisations de notre pays, augmenter sa visibilité mondiale, étendre les liens bilatéraux et multilatéraux, et promouvoir le Kazakhstan comme une puissance intermédiaire. Notre pays a des objectifs ambitieux et le potentiel pour les atteindre. Nous invitons les investisseurs mondiaux, les entreprises et les innovateurs à exploiter l’esprit audacieux de notre peuple, à explorer les multiples opportunités du Kazakhstan, à s’engager avec notre économie dynamique, et à contribuer à une vision partagée de progrès durable.