L’évolution politique de la Libye depuis la révolution de 2011 

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By Alain Jourdan

En 2011, alors qu’un vent de révolution souffle sur le Moyen-Orient et s’étend au Maghreb, un commando soutenu par l’OTAN assassine le colonel Kadhafi, à la tête du gouvernement Libyen depuis 1969. Après 40 ans de pouvoir, le chef d’État est mis à la porte à la suite de la répression effectuée contre les manifestants des printemps arabes. Le pays tombe dans le chaos.
En 2014, le territoire libyen est divisé à la verticale, entre l’Ouest et l’Est. Les deux partis ne cessent de s’affronter pour gagner du terrain. En 2019, Khalifa Haftar, le chef de file de la partie Est de la Libye, tente une offensive sur Tripoli, capitale de la partie Ouest du pays. Khalifa Haftar est un ancien collaborateur du général Kadhafi. Ce dernier l’a écarté de la scène politique en l’envoyant en exil pendant 20 ans aux Etats-Unis. À la suite de la chute du général, Khalifa Haftar revient sur sa terre natale et reprend le combat en mettant sur pied l’autoproclamée armée nationale libyenne. La tentative de prise de Tripoli échoue mais cet évènement fait évoluer la situation globale du pays. Avec l’ascension des tensions, l’Organisation des Nations Unies décide d’abandonner son statut passif et d’entreprendre l’organisation d’un cessez-le-feu qui sera acté en janvier et février 2021.
Malgré la tentative de retour à une situation stable, les affrontements continuent et le cessez-le-feu est complètement ignoré par les belligérants. Un gouvernement est alors nommé sans consensus national et reconnu internationalement, dans un espoir de stabilisation. Le gouvernement de l’unité nationale (GUN) s’établit à Tripoli. L’ONU soutient parallèlement la nomination d’Abdul Hamid Dbeibah comme Premier ministre par intérim, chargé d’organiser des élections nationales. Le premier ministre Dbeibah a, en contrepartie, l’obligation de ne pas se présenter aux élections qu’il doit organiser. Les élections, prévues pour la fin de l’année 2021, portent un espoir de réconciliation entre les deux territoires libyens. En effet, les dirigeants des différentes factions peuvent se présenter comme chef d’État, regroupant les revendications sous un cadre légal et légitime. Khalifa Haftar annonce d’ailleurs être candidat aux élections. De plus, les dirigeants se rencontrent pour définir les détails des élections afin qu’elles paraissent justes à tout niveau. Seulement, le cadre juridique ne parvient pas à atteindre le consensus des parties. Sans celui-ci, impossible de mettre sur pied des listes d’élections, d’organiser la campagne des candidats ni de faire voter les Libyens pour un chef d’État. Ainsi, le 20 décembre 2021, le responsable de la haute commission électorale nationale de Libye annonce le report des élections. À la suite de ce délai, il devient évident que les élections ne se tiendront pas et qu’Abdul Hamid Dbeibah ne renoncera pas au pouvoir.
En conséquence, le parti de l’Est dirigé par la Chambre des Représentants de Tobruk, décide de retirer la confiance accordée au dirigeant de l’Ouest. La Chambre crée alors son propre gouvernement en mars 2022, appelé le gouvernement de stabilité nationale (GSN). L’armée nationale libyenne de Khalifa Haftar s’y associe, réunissant environ 25 000 soldats. Depuis, les forces d’Haftar attaquent régulièrement les forces de Tripoli dans l’espoir de conquérir le pouvoir total sur le pays.

Figure 2 Source: Jeanne Arvat
Le support international
Depuis 2014, les Nations Unies tentent plusieurs stratégies pour apaiser la situation en Libye. Alors que jusqu’en 2021, l’organisation misait sur des élections pour stabiliser la politique, les évènements de 2021 et 2022 lui ont porté défaut. Aujourd’hui, l’ONU prêche pour un consensus des deux parties avant de pouvoir organiser des élections démocratiques. Les négociations se poursuivent donc, les dernières datant de l’été 2023.
En parallèle, certains pays du Moyen-Orient et d’autres régions se positionnent sur le conflit interne. L’Egypte, les Emirats Arabes Unis, la France ainsi que la Russie apportent leur soutien au gouvernement de stabilité nationale, c’est-à-dire l’Est de la Libye. L’Egypte, mais encore plus fortement les Emirats, souhaitent voir échouer le gouvernement de l’unité nationale en raison de son affiliation aux Frères musulmans. Les Emirats arabes Unis procèdent même à un bombardement sur la zone Est avec leurs propres forces. De plus, Khalifa Haftar prend comme modèle politique Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien. Le gouvernement de l’unité nationale est soutenu par les Nations Unies, l’Italie, le Qatar et la Turquie. Cette dernière n’hésite pas à produire de grandes déclarations en faveur du gouvernement de l’Ouest afin de se garantir l’accès au pétrole. Il en est de même de l’Italie, qui possède un certain nombre de compagnies pétrolières sur le sol libyen.
Tripoli, un terrain de guerre local
En parallèle de ces tensions nationales, des affrontements surviennent régulièrement dans Tripoli. En effet, la ville est elle-même divisée en zones d’influences. Le Sud et les banlieues de Tripoli sont contrôlées par la brigade 444, elle-même dirigée par Mahmoud Hamza. La brigade est aussi la seule à posséder d’autres zones d’influences en dehors de la ville, sur le reste du territoire Libyen. Elle agit sous l’ordre du ministère de la Défense du gouvernement d’unité nationale, réputé comme étant l’organe le plus discipliné du pays. La force Rada, un groupe conservateur provenant des forces de polices de Tripoli, constitue le groupe concurrent à la Brigade 444. La force Rada contrôle l’Est et le centre de Tripoli, ainsi que l’aéroport international en fonction et répond aux ordres du ministère de l’Intérieur. Les deux groupes sont reconnus par les Nations Unies comme étant légitimes à exercer de l’influence sur une certaine partie de la capitale. Les forces s’affrontent régulièrement dans Tripoli, en quête de nouveaux territoires. Le lundi 14 août 2023, les deux brigades se retrouvent et procèdent à un échange de tirs musclé dans une zone urbaine très peuplée. Les armes sont lourdes, les moyens sont donnés par les alliés des deux factions. Des chars et des lance-missiles sont dehors, en pleine rue. 55 personnes meurent et 100 sont blessées. Au cœur de cet affrontement se trouve l’acquisition d’un quartier très prisé de Tripoli, le quartier où se trouvent les bâtiments immobiliers de valeur. Le quartier est aussi appelé la porte de Tripoli, et a servi aux hommes de Khalifa Haftar d’entrer dans la ville lors de la tentative de prise de pouvoir en 2019. Dans cette zone se trouve aussi un vieil aéroport international, promis à une rénovation prochaine. Cette remise en fonction signifie un changement dans l’équilibre des pouvoirs entre les différentes zones de Tripoli. L’aéroport, situé dans la partie Sud, est un symbole de pouvoir qui va renforcer la présence de la Brigade 444. En supplément, Mahmoud Hamza, commandant de la brigade 444, est l’ancien commandant de la force Rada. Il démissionne après la guerre de Tripoli (tentative de prise de pouvoir de Khalifa Haftar) pour monter sa propre brigade, la brigade 444. Ainsi, la concurrence en devient encore plus forte. Cette guerre de cité est influencée par les dynamiques locales en premier lieu, mais aussi par les évolutions de la situation nationale. L’attaque du 13 août survient quelques jours après le début de discussions entre l’Est et l’Ouest du pays concernant la création d’un potentiel nouveau gouvernement d’intérim national, et accepté par tous. Est-ce un hasard ? Pour le moment, les belligérants de l’affrontement n’ont pas proclamé de déclaration dans ce sens.
Ainsi, tout autant à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale, la Libye est caractérisée par une fragmentation des pouvoirs profonde. Cette fragmentation rend difficile l’espoir de revoir un jour un pays unifié et en paix. Cependant, à la suite de l’orage Daniel ayant provoqué des dégâts et des pertes colossaux en Libye, nous pouvons observer un certain rapprochement des deux gouvernements afin de remettre le pays sur pied. Le 11 septembre 2023, l’orage atteint la Libye après être passé sur le sud de l’Italie et la Grèce, ou 15 morts sont à déplorer. Il touche majoritairement l’Ouest de la Libye, la ville de Derna est complètement ravagée par les inondations. Aujourd’hui, 2500 personnes sont déclarées mortes et 5000 disparues. En parallèle, 30 000 personnes sont déplacées à travers le pays. Malgré l’interdiction des journalistes d’entrer dans l’enceinte de la ville, une délégation de Tripoli est autorisée à établir l’étendue des dégâts. Ce premier pas d’un gouvernement vers l’autre est prometteur. Les deux régimes concurrents vont-ils trouver un point d’entente autour de la survie de sa population a des catastrophes naturelles ?

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