Face à la crise du multilatéralisme, la diplomatie religieuse peut devenir un outil stratégique de paix

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By La rédaction

Dans un monde fragmenté où la diplomatie traditionnelle peine à prévenir les conflits, Alain Jourdan, auteur de L’Appel de Jérusalem – Mohammed VI et la Papauté engagés pour la paix, défend l’émergence d’une nouvelle approche internationale : la diplomatie religieuse. Il explique comment l’initiative conjointe du Roi Mohammed VI et du pape François sur Jérusalem représente une alternative crédible pour reconstruire la confiance mondiale et désamorcer les tensions identitaires. Entretien.

Votre livre paraît dans un contexte international marqué par la fragmentation géopolitique et l’affaiblissement du système multilatéral. En quoi l’Appel de Jérusalem constitue-t-il une réponse stratégique à cette crise mondiale ?


L’Appel de Jérusalem signé en 2019 par le Roi Mohammed VI et le pape François s’inscrit dans une lecture lucide de l’état du monde : les mécanismes traditionnels du multilatéralisme sont à bout de souffle. Dès la préface de l’ouvrage, je rappelle que « le modèle multilatéral… semble vaciller », affaibli par des tensions géopolitiques, le repli identitaire et la crise de confiance entre nations . Face à cette impasse, l’Appel de Jérusalem n’est pas un simple message moral : il réintroduit la dimension humaine et spirituelle dans la régulation internationale, en créant un espace de médiation là où la diplomatie classique a échoué. Il marque l’entrée de la diplomatie des consciences dans l’équation géopolitique mondiale.

Vous évoquez dans votre ouvrage l’épuisement de la diplomatie classique. Pourquoi ne suffit-elle plus aujourd’hui ?


Parce qu’elle repose trop souvent sur la seule logique des rapports de force et ignore la dimension identitaire des conflits modernes. Les crises actuelles ne sont pas seulement territoriales ou économiques ; elles sont aussi symboliques, émotionnelles et liées à la mémoire collective. Comme je l’écris, « la diplomatie classique s’essouffle, et avec elle la capacité des nations à construire ensemble un avenir commun » . Sans travail de réconciliation culturelle et spirituelle, aucun accord politique n’est durable. C’est pourquoi il devient indispensable de compléter la diplomatie traditionnelle par une diplomatie du sens, capable de recréer de la confiance entre les peuples.

Vous dites que la religion est redevenue un acteur géopolitique. Pourquoi ce retour du religieux sur la scène mondiale ?


Parce que dans un monde en perte de repères, les sociétés se tournent vers le sacré pour retrouver un sens collectif. Ce retour est ambivalent : la religion peut être instrumentalisée pour attiser les divisions, mais elle peut aussi devenir un formidable levier de paix si elle est portée par des autorités responsables. C’est toute la force de l’Appel de Jérusalem, qui rappelle la nécessité de préserver « Jérusalem comme patrimoine commun de l’humanité » et de contrer l’exploitation identitaire des lieux saints. Le religieux doit cesser d’être une ligne de fracture pour redevenir un terrain de convergence universelle.

Dans votre livre, vous qualifiez le Maroc d’acteur stabilisateur et de puissance morale. En quoi sa position est-elle unique ?


Le Maroc possède un capital spirituel unique au monde. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, Commandeur des croyants, le pays défend un islam modéré basé sur la tolérance, la modération juridique malékite et l’équilibre ash‘arite. Le Roi l’affirme clairement : « Je veille au libre exercice des religions du Livre » . Le Maroc agit, il ne se contente pas de déclarer : réhabilitation du patrimoine juif, formation d’imams étrangers, médiations internationales, participation active à la paix au Sahel et au Proche-Orient. Ce rôle conciliateur lui permet d’être une passerelle stratégique entre l’Afrique, l’Occident et le monde arabe. Dans un monde fracturé, il fait figure d’architecte du dialogue.

L’Appel de Jérusalem est-il un texte religieux ou un acte géopolitique majeur ?


C’est les deux. Il est d’abord un acte de souveraineté spirituelle mais aussi un outil diplomatique structurant. Jamais auparavant un pape et un chef d’État musulman n’avaient pris une position commune aussi claire sur Jérusalem : « symbole de coexistence pacifique » et patrimoine universel . En réalité, l’Appel de Jérusalem neutralise la tentation de guerre des religions en redonnant à la ville sainte sa vocation unificatrice. Il trace une troisième voie : ni confrontation, ni domination, mais reconnaissance mutuelle. C’est en cela qu’il constitue une plateforme diplomatique nouvelle, capable d’ouvrir un cycle de paix durable au Moyen-Orient.

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