L’ÉNIGME HAÏTIENNE

Photo of author

By Alain Jourdan

La perle des Antilles. La première république noire libre du monde. Un site tellement enchanteur qu’Haïti devient le premier site d’une compagnie internationale offrant des vacances de rêves. Qu’est donc devenu le quotidien de la population haïtienne avec ce passé si prometteur mais qui semble maintenant si lointain ! La gouvernance de ce pays offre un élément de réponse assez précis, tout au moins pour la période « post Duvalier »1

En effet, depuis l’ère Duvalier, Il semble que les politiciens haïtiens s’accommodent facilement du jeu de la chaise musicale. Les élus jouissent rapidement des privilèges de leurs postes sans pour autant compléter la durée normale de leur mandat2 ; cette situation provoque un manque évident de stabilité permettant l’énoncé de politiques claires et surtout du suivi de la mise en œuvre de ces politiques. Le manque de continuité au niveau des politiciens de haut niveau rend difficile la découverte d’interlocuteurs crédibles et animés du sens de la mission pour la réalisation de tout projet du domaine humanitaire aussi bien que du développement économique.

De plus, plusieurs politiciens sont associés à la corruption régnant dans le pays alors que certains sont même identifiés comme complices dans l’assassinat du président Jovenel Moïse ! Il semble que la corruption est comme un véritable cancer qui ronge la société haïtienne. Le Canada a d’ailleurs imposé des sanctions contre deux anciens ministres tout en saisissant leurs biens détenus au Canada. Dans la même foulée d’autres dirigeants politiques et économiques ont été sanctionné parce que leurs actions ont permis aux groupes criminels de déstabiliser le pays.3 Des soupçons de mauvaise gestion financière ont même été publiés au sujet du directeur général de la Police nationale haïtienne ; alors que les policiers manquent de moyens pour faire face à la violence.

Le pays traverse présentement une période de violence sans précédent et prenant pour principale cible la population haïtienne, devenue victime de meurtres gratuits, d’enlèvements, de viols et de toutes sortes d’atrocités. Un spectacle d’horreur tout à fait désolant dans un pays détenant déjà le triste record de paupérisme absolu des deux Amériques ! Comme si cela n’était pas suffisant, le pays occupe un rang peu élogieux quant à la perception de corruption4, une corruption minant plusieurs couches de la société haïtienne y compris la classe politique.

Cette violence demeure avant tout une guerre de gangs sans merci rencontrant peu d’opposition de la part des autorités chargées de la sécurité et de la protection de la population. En fait, la question se pose à savoir si la Police nationale haïtienne (PNH) peut contrer efficacement ces gangs et restaurer un climat de paix surtout au sein de la capitale du pays. L’efficacité de la PNH est minée par le manque de volonté politique d’agir contre le fléau de la corruption qui gangrène les institutions. De plus, le système judiciaire est incapable de lutter contre la corruption à cause de nombreux acteurs assurant l’impunité des responsables de la corruption et même l’impunité des chefs de gangs au fil des années. Il est particulièrement troublant de constater que le taux global de condamnation dans le système judiciaire est de 3%, avec une seule condamnation (dans une affaire de corruption) au cours des 15 dernières années5. Au sein même de la PNH, il est reconnu que certains policiers ontdéjà collaboré ou collaborent encore avec certains gangs. En fait, le chef d’un important regroupement de gangs est lui-même un ancien policier6.

À la question : la PNH peut-elle faire échec aux gangs ? La réponse est non ! Une aide extérieure est-elle souhaitable et disponible ? La réponse est un faible oui alors que peu de pays se portent volontaires pour ce rôle d’appui à la PNH afin de neutraliser les gangs.
Alors est-ce qu’une force militaire provenant de l’étranger peut intervenir et aider la PNH à mater cette violence afin de traduire les responsables de ces gangs devant la justice ?

Haïti a déjà vécu ce scénario : en effet, en 2005, à la suite de l’assassinat d’un chef de gang dans Cité Soleil, le nouveau chef de gang a tenté d’étendre son influence et a mené une campagne de violence similaire à celle observée aujourd’hui. La mission de l’ONU a requis des renforts supplémentaires et a procédé à une action militaire visant à rétablir la sécurité et ainsi à neutraliser la nouvelle direction de ces gangs.

Cette offensive militaire menée en étroite collaboration avec la PNH a été capable de démanteler les poches de résistance de certains gangs, capable de rehausser le niveau de sécurité de la population et aider les policiers à arrêter les membres des gangs. Évidemment, ces résultats étaient visibles seulement pour toute la période où les forces militaires onusiennes appuyaient la PNH. Vu l’état du système judiciaire et étant donné que ces gangs jouissent d’un appui financier, d’un appui matériel et d’une protection assurant leur impunité par différents acteurs de la société haïtienne, il est fort probable que ce phénomène des gangs risque de reprendre naissance une fois que l’action militaire sera complétée.

Se rat kay k ap manje kay7 . L’assurance d’une sécurité accrue pour toute la population haïtienne ne peut se concrétiser sans un renfort de ses institutions et surtout sans une surveillance plus serrée de la communauté internationale sur les rouages démocratiques de ce pays. Le mot “tutelle” a été prononcé à plusieurs reprises et ce serait sans doute désolant d’en arriver à ce point, mais existe-t-il une autre solution ?

1: François Duvalier, surnommé Papa Doc a régné sur le pays de 1958 à 1971 et son fils Jean Claude Duvalier, surnommé Bébé Doc, a pris la relève de 1971 à 1986
2: Par exemple : il est frappant de constater que depuis 1988, peu de politiciens ont occupé le poste de premier ministre pour plus d’un an ; certains ont même occupé le poste pour quelques mois à peine !

3: Le détail des sanctions peut se lire à https://www.canada.ca/fr/affaires mondiales/nouvelles/2022/11/le-canada-impose-des-sanctions-supplementaires-a-des membres-de-lelite-politique-haitienne.html
4: Selon Transparency International, Haïti occupait en 2022 le 171e rang sur 180 pays. Une glissade qui se poursuit alors que le pays occupait le 89e rang en 2002.
5: https://www.undp.org/fr/haiti/actualites/appuyer-la-justice-et-combattre-limpunite-en-haiti
6: Il s’agit de Jimmy Chérisy, alias Barbecue, un ancien policier qui caresse le rêve de devenir …président d’Haïti
7 :Traduction : C’est le rat de la maison qui mange la maison

Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter de La Tribune des Nations et bénéficiez d’informations exclusives.