Zachary Paikin: « Même la Suisse n’est pas 100% neutre »

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By Juliette Bouchet

Hégémonie occidentale, tournant russe eurasien, indépendance de la Suisse qui ne rime pas avec neutralité: le chercheur du think tank américain Quincy Institute for Responsible Statecraft[1] analyse les tendances géopolitiques actuelles à l’aune de théories académiques récentes. Entretien.

La Tribune des Nations (LTDN): Dans votre publication de 2020 sur l’hégémonie occidentale et le tournant eurasien de la Russie vous évoquez la notion de « société internationale ». Pouvez-vous expliquer ce que cette notion représente et les différentes théories qui permettent de l’expliquer ? 

La société internationale est un concept qui vient de l’École Anglaise des relations internationales. Cette théorie est un peu à part. En effet, en général, en Amérique du Nord en particulier, on apprend que les grandes théories des relations sont le réalisme, le libéralisme et le constructivisme. L’École Anglaise est différente. Elle date de quelques décennies et a été fondée par des chercheurs comme Hedley Bull, Martin White, ou encore Adam Watson, principalement au Royaume-Uni. Le concept de société internationale, qui a essentiellement été développée par Hedley Bull dans son livre La société anarchique, présente deux éléments. D’une part, il y a une société, ce qui suppose des règles, des normes, des attentes par rapport à la façon dont les États devraient se comporter ; d’autre part, existe la société anarchique où il n’y a pas de lois faciles à appliquer. Et on peut retrouver cette forme d’anarchie dans le monde des relations internationales. Pourtant, ce n’est pas l’anarchie du néoréalisme[1]. Bull écrivait en 1977 pour l’École Anglaise, plus ou moins en même temps que le politologue américain Kenneth Waltz développait sa théorie sur le réalisme structurel. Cette théorie mettait en avant l’idée que les relations entre les États étaient structurées d’une façon systémique. C’est-à-dire que si on met un État dans une boîte et qu’il subit une quelconque pression, il va réagir de façon prévisible. L’équilibre des puissances serait quelque chose qui fonctionne de façon presque automatique. Il s’agit de la logique d’un système. Tandis que pour l’École anglaise, l’équilibre des puissances s’apparente plutôt à une société. L’équilibre des puissances est négocié entre les différents États et ce sont des attentes qui permettent de maintenir le tout en place. 

LTDN: Comment peut-on appliquer cette conception au monde contemporain pour mieux comprendre ses équilibres et les relations entre États ? 

Une question intéressante que l’on peut se poser désormais est de savoir à quel point une société doit être homogène pour pouvoir fonctionner, homogène à l’échelle politique mais aussi à l’échelle culturelle. Cette interrogation a été soulevée depuis les années 80 par des chercheurs comme Adam Watson et Hedley Bull. Dans leur livre The Expansion of International Society, publié en 1984, ces derniers montrent comment « l’expansion » de la société internationale a commencé au XIXe avec la domination de l’Occident et de l’Europe dans le monde. Cela a conduit au développement d’institutions et de notions comme l’État souverain, l’équilibre des puissances, la diplomatie, et toutes les règles qu’utilisent les États pour gérer leurs relations, lesquelles ont été adoptées par le reste du monde. Ce faisant, ces institutions, ces façons d’agir, ces règles ont été diluées car les États non-occidentaux n’était pas organisé de la même façon que l’Europe. Plus récemment, des émules de l’École Anglaise ont mis en avant d’autres idées, selon lesquelles toutes les sociétés sont formées par le pluralisme et l’hétérogénéité dès le début. Une société internationale formée à partir de la diversité politique que l’on observe aujourd’hui entre des États aussi différents que la Chine, les États-Unis, la Russie etc., mais qui pourtant pourraient partager quelques normes et idées, est-elle envisageable? Pour l’instant, la réponse n’est pas claire  

LTDN: Ces dernières années ont montré que l’ordre libéral a échoué à devenir universel. Pour vous, quelles sont les causes de cet échec ? 

Avant de répondre à cette question, il faut qualifier ce qui vient d’être dit. Entre ces grandes puissances, il y a déjà des suppositions de base, communes, qui nous aident à gérer les relations. Il existe en effet la diplomatie, les institutions comme les Nations Unies, ou encore le droit international, qui est de temps en temps violé mais qui reste la référence. L’ordre libéral est une grande question : c’est un terme que l’on avance en général sans en comprendre le sens. La plupart des personnes qui pensent et disent que l’ordre libéral est menacé par tels ou tels pays confondent, je pense, l’ordre libéral et l’ordre international. L’ordre libéral tel qu’il existe aujourd’hui repose sur la puissance occidentale: sans celle-ci, il peinera à continuer à être en bonne santé. Il comprend des normes, des valeurs qui ne sont pas nécessairement partagées par tout le monde. Donc oui, l’ordre libéral fait partie de l’espace normatif politique du grand tapis de ce qui existe dans le monde aujourd’hui, mais il n’est pas égal à l’ordre international. Le grand débat se joue entre les pays qui confondent l’ordre libéral et l’ordre international, et ceux qui mettent en garde sur le fait que nous pouvons être d’accord avec l’idée qu’on devrait avoir un ordre international fondé sur le droit international, sur le multilatéralisme et sur les Nations Unies, mais que cela ne signifie pas que nous sommes d’accord avec tout ce que l’Occident veut faire, ni que la conception occidentale de l’ordre équivaut à la conception globale.  

LTDN: Vous avez expliqué dans votre publication que la relation Chine-Russie n’avait pas pour but de devenir une alliance militaire. Pourtant, les deux pays ont annoncé début juillet des exercices militaires conjoints. Que doit-on attendre de la collaboration Chine-Russie dans les prochaines années ? 

D’abord, vous avez raison de dire qu’il ne s’agit pas d’une alliance puisque les deux pays veulent maintenir une certaine autonomie stratégique pour pouvoir maintenir leurs propres relations dans le monde. La Chine ne veut pas nécessairement être forcée de rentrer en guerre avec l’OTAN si la Russie est attaquée. Elle préfère concevoir cette relation comme un partenariat stratégique que comme une alliance. Cela ne veut cependant pas dire que cette relation est moins forte. L’OTAN est une alliance dans laquelle il y a une grande puissance, les États-Unis, avec d’autres puissances qui sont en fait des partenaires juniors. Ce n’est pas le type de relation qui existe entre Moscou et Pékin. Ensuite, ces deux puissances se sentent menacer par l’hégémonie occidentale pour des raisons différentes, et c’est un des éléments qui les encourage à coopérer mais ce n’est pas la seule chose. En effet, ces deux puissances possèdent une grande frontière commune. La Chine est une puissance montante et la Russie a intérêt, quelque soit le président russe, à maintenir de bonnes relations avec la Chine.

« La Chine ne veut pas nécessairement être forcée de rentrer en guerre avec l’OTAN si la Russie est attaquée. Elle préfère concevoir cette relation comme un partenariat stratégique que comme une alliance. »

Donc oui, l’Occident encourage ces deux puissances à devenir de plus en plus proches, mais cela ne veut pas dire qu’on peut tenter ce qu’a fait Henry Kissinger, c’est-à-dire de les séparer. Pourtant, même s’il existe des points communs, des dynamiques importantes qui les encouragent à coopérer, il y a des différences importantes de conception de l’ordre international. La Russie est depuis longtemps plus confortable à l’idée de monter un challenge direct, au niveau politique, au niveau stratégique avec l’Occident. La Chine commence à l’être mais elle semble plus timide jusqu’à présent. Elle préfère, et a besoin, d’un ordre international ouvert pour l’échange de ses biens et pour pouvoir se développer à l’échelle économique et technologique. La Russie est plus autarcique. Ces différences sont cependant une considération secondaire aujourd’hui, au vu des pressions, au moins perçues, par ces deux puissances.

LTDN: Face à la guerre en Ukraine, l’OTAN et l’Ouest ne paraissent pas amener de réponses claires. L’Ouest est-il entrain d’échouer à protéger l’« ordre international fondé sur des règles », comme le craignait l’administration Biden ? 

Pour revenir sur la terminologie, l’« ordre international fondé sur des règles » est une notion très utilisée aujourd’hui. La question est de savoir comment définir ces règles. Si on souhaite parler du droit international, autant dire simplement droit international. Cependant, si par exemple les États-Unis se disent « pour le droit international », il va être simple pour la Russie et d’autres de pointer du doigt toutes les instances par lesquelles les Américains ont violé le droit international lors de l’après Guerre froide, comme l’invasion de l’Irak. Les États-Unis utilisent ces terminologies car elles sont volontairement opaques et permettent de recourir à un terme soi-disant neutre mais qui, en réalité, n’est pas utilisé par les autres pays. Ces derniers se disant plutôt en faveur d’un ordre international fondé sur le droit international, sur le système onusien ou sur le multilatéralisme qui implique des relations politiques entre États. Les différences doivent être réglées de façon paisible sans déclencher de guerre.

Le multilatéralisme comporte la possibilité de changement dans l’échelle normative et politique au niveau mondial. Tandis que l’idée d’un « ordre international fondé sur des règles » protège le statu quo. Ce raccourci permet la continuation de l’hégémonie occidentale même si nous sommes un peu aveugles face à cette réalité. Ce terme n’est plus perçu comme étant neutre et, pour les Américains, c’est clair. Dans la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden, cet ordre représente un bloc de pays dirigé par les États-Unis, composé de démocraties et d’autres pays qui ne le sont pas comme l’Arabie Saoudite. Les pays révisionnistes sont la Russie et la Chine car ils sont contre la vision étasunienne du monde. 

« Dans la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden (…) les pays révisionnistes sont la Russie et la Chine car ils sont contre la vision étasunienne du monde. »

LTDN: Que pensez-vous du fait que l’Ukraine semble s’éloigner de l’adhésion à l’Union eruopéenne ou à l’OTAN ? 

On ne peut pas apporter de réponse à la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ou à l’OTAN sans répondre à la question de sa place dans l’ordre de sécurité européenne. Cela ne peut être réglé qu’en adoptant une certaine neutralité. Mais la neutralité est une grande famille de traditions et ne veut pas dire forcément neutralité stricte. Il peut y avoir une certaine affiliation entre l’Ukraine et l’OTAN mais pas avec l’article 5 du traité de Washington [NDLR: principe selon lequel une attaque contre l’un ou plusieurs de ses membres est considérée comme une attaque dirigée contre tous]. En effet, on interprète cet article de façon stricte aujourd’hui, mais la réalité est plus complexe quand on le lit. Si on met cette supposition traditionnelle en œuvre et qu’on ajoute le fait que l’OTAN reste explicitement une alliance nucléaire, la réalité est que si la Russie attaque un État membre, cela va mener à une potentielle guerre nucléaire. Une autre considération peut être faite : si la Russie envahissait l’Estonie par exemple, et s’il y avait une façon pour Moscou de nier l’événement en mettant la faute sur quelqu’un d’autre, telle que la population de Narva, il pourrait alors y avoir une occupation non officielle d’une partie de l’Estonie. Si cette dernière invoquait l’article 5 et que les États membres ne réagissaient pas, la crédibilité de la dissuasion de l’Alliance serait bafouée. 

LTDN: A la fin de la guerre froide, l’ordre de l’Ouest semblait prêt à intégrer la Russie. A présent, on assiste à un tournant russe vers l’Est. Comment expliquer cette évolution, et pour vous, le projet de « Grande Eurasie » russe est-il destiné à devenir une alternative à l’Ouest ? 

Je pense que le projet de « Grande Eurasie » russe n’est pas vraiment clair. Il existe depuis déjà une décennie; c’est une façon pour la Russie d’affirmer son autonomie face à l’Occident. La Russie n’est en effet pas isolée du monde malgré son invasion de l’Ukraine. La raison principale pour laquelle la Russie n’a pas été intégrée dans l’Ouest réside dans le fait que nous n’avons pas pu lui trouver une place dans l’ordre de sécurité européenne suffisante pour le statut russe. L’OTAN et l’UE sont devenues les institutions principales de cet ordre, ce qui n’était pas nécessairement le cas dans l’après Guerre froide. Il y avait une vision alternative, peut-être ambiguë, mais qui mettait en avant Moscou pour essayer de faire de l’OSCE l’institution principale de l’Europe. Cette institution plus inclusive, qui comprend tous les états européens, fonctionne par le principe de consensus ce qui donne à la Russie un droit de veto. La Russie ne pourra jamais rejoindre l’UE ou l’OTAN. Peut-être en le faisant exprès ou simplement par inertie, on a créé des instituions qui ne peuvent pas donner une place à la Russie, ce qui est un problème car il s’agit d’un des pays les plus puissants du continent…

 » La raison principale pour laquelle la Russie n’a pas été intégrée dans l’Ouest réside dans le fait que nous n’avons pas pu lui trouver une place dans l’ordre de sécurité européenne suffisante pour le statut russe. »

LTDN: Dans votre publication, vous avez notamment expliqué la position du Canada face à ce nouvel ordre mondial. Pouvez-vous expliquer comment le Canada tente de se distinguer de l’Ouest et quelles sont ses ambitions internationales futures ? 

Je pense qu’un de nos grands défis est de prendre les relations internationales plus au sérieux. L’électorat canadien ne s’intéresse pas beaucoup aux questions de relations étrangères malheureusement. On obtient donc des politiciens, issus de tous les grands partis, des libéraux aux conservateurs, qui n’ont pas beaucoup de raisons de dépenser pour les questions de défense ou sur la diplomatie, ce qui pose problème puisqu’on est dans un monde à présent imprévisible. L’Alliance de l’OTAN reste quand même pour le Canada un fondement très important pour sa politique étrangère. Nous étions un des pays fondateurs de l’OTAN et c’est Louis St-Laurent qui, à la fin des années 40, a encouragé sa création pour deux raisons. D’abord pour garantir l’implication des États-Unis dans le monde. Deuxièmement cela donnait au Canada une opportunité d’être à la table non seulement des États-Unis mais du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne de l’Ouest après quelques années, et ainsi d’élargir ses relations diplomatiques. Mais désormais le monde est beaucoup plus grand que l’Europe et il est important pour nous de pouvoir régler et gérer nos relations avec la Chine, l’Inde etc. Nous venons de lancer notre stratégie pour l’Indopacifique mais nos relations avec la Chine et avec l’Inde sont toutes deux en crise[2]. Notre ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly est à Pékin et tente de renouveler nos relations avec la Chine. Comment développer une stratégie indopacifique sans avoir de relations développées avec la Chine et l’Inde, qui sont non seulement les deux grandes puissances de la région mais aussi les puissances 2 et 3 du monde ? L’OTAN reste le fondement de notre politique étrangère mais presque par défaut et 90% de ce que fait le Canada se résume par les trois N : NATO, No ad, NAFTA. Dans les trois cas il s’agit de relations avec l’Europe et les États-Unis.

Avec la Russie, il y a toujours des disputes par rapport à l’Arctique, les frontières maritimes ou encore le passage du nord-ouest, qui est un passage maritime qui passe entre plusieurs îles canadiennes. Les eaux qui entourent ces îles sont considérées par le reste monde comme étant des eaux internationales, contrairement au Canada qui revendique leur possession. A mon avis, comme nous sommes une puissance de plus en plus limitée, mettre en avant l’Arctique comme une de nos priorités internationales serait une très bonne idée. Nous pouvons bien sûr le faire avec nos alliés, en particulier maintenant que la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Ainsi, tous les membres du Conseil de l’Arctique, sauf la Russie, font partie de l’OTAN et sont nos alliés. Selon notre ministère de la Défense, si on est en sécurité sur nos propres terres dans l’Arctique on aura plus de marge de manœuvre pour s’impliquer en Asie et en Europe. La question à laquelle on doit répondre est à quel point on veut maintenir cette marge de manœuvre et maintenir nos capacités nationales en Asie et en Europe ou doit-on accepter de ne pas être une puissance, même moyenne, en Asie. Bien sûr, on doit protéger notre propre région, l’océan Pacifique du nord, mais cela ne veut pas dire qu’il est sensé de participer à des missions de dissuasion contre la Chine auxquelles on ne contribue pas beaucoup, par exemple dans le détroit de Taïwan. 

LTDN: Parlons à présent des BRICS. Les relations entre l’Est et l’Ouest ainsi que l’ordre mondial sont profondément modifiés par le rôle croissant des BRICS. Les BRICS sont un groupe hétérogène car constitués de pays très différents culturellement. Pensez-vous qu’ils puissent porter une seule voix pour défendre leurs intérêts stratégiques malgré leur diversité ? 

Cela dépend de leurs buts et de leur volonté de réécrire ou de rééquilibrer l’ordre international. Si leur volonté est de rééquilibrer l’ordre alors cela est faisable mais le réécrire est plus compliqué car comme vous l’avez dit, il s’agit d’un groupe très hétérogène. Certains pays entretiennent de bonnes relations avec l’Occident tandis que d’autres s’affirment plutôt contre l’Occident comme la Russie ou la Chine. Cela dépend aussi de la volonté du groupe de s’élargir. S’il s’élargit de plus en plus, cela va diluer l’influence de la Russie et de la Chine et il deviendra de moins en moins anti-occidental. 

LTDN: Le 11 juillet 2024, au forum des BRICS à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a évoqué l’idée de créer un parlement pour les BRICS. Certains pensent par ailleurs qu’il pourrait y avoir une forme d’ONU pour les BRICS. Croyez-vous-en cette institutionnalisation des BRICS et quelles seront les conséquences sur l’ordre mondial ? 

Je n’ai pas assez d’informations pour répondre entièrement à la question. De toute façon, ce sont des pays qui veulent protéger leur souveraineté nationale, donc ça ne sera pas une forme d’intégration nationale comme peut l’être l’UE. Je ne sais pas à quel point ils veulent approfondir leurs relations à l’échelle politique mais s’ils créent un type d’institution, ce sera plus que symbolique, mais cela ne changera pas fondamentalement leur vision du monde. Est-ce que cela symboliserait la création d’un ordre international de plus en plus post-occidental ? Éventuellement. Mais c’est quelque chose qui est déjà en cours. 

LTDN: La Suisse est critiquée par certains pour s’être éloignée de sa neutralité historique, vis-à-vis de la Russie notamment. Le monde onusien semble par ailleurs affaibli. Pensez-vous que la Genève internationale est entrain de décliner ? 

Pendant la Guerre froide, plusieurs États étaient neutres : non seulement la Suisse, mais aussi l’Autriche, la Suède, ou encore la Finlande. Il était important de trouver des endroits où l’Est et l’Ouest pouvaient se réunir et discuter en confiance. L’acte final d’Helsinki n’aurait pas pu être signé sans, non seulement le rôle de la Finlande, mais aussi celui de la Suisse. Beaucoup de négociations ont eu lieu ici à Genève. Aujourd’hui, il n’y a plus de pays neutres, c’est dommage. Même la Suisse n’est pas 100% neutre. Ce pays insiste sur le maintien d’une politique étrangère indépendante, mais indépendante ne signifie pas neutre. Bien sûr, la neutralité est une grande tradition de famille, il y a plusieurs possibilités. Mais quand même, avoir organisé une conférence internationale pour promouvoir le plan de paix ukrainien du président Zelenski et ne pas inviter les Russes, même si la conférence n’est pas devenue anti-russe, n’est pas quelque chose que ferait un pays neutre. On voit maintenant que, par défaut, beaucoup d’argent, de négociations, se déplacent vers d’autres régions du monde comme à Istanbul ou à Dubaï par exemple, où la neutralité se manifeste un peu plus aujourd’hui.

Par ailleurs, le Vietnam montre à quel point il est possible de maintenir de bonnes relations, au moins des relations fonctionnelles, à la fois avec les États-Unis, et avec la Russie ou la Chine. Donc oui, bien sûr, cela va poser problème pour la Genève internationale. On voit déjà que les Russes sont des moins en moins volontiers à venir à Genève pour des négociations. Je ne sais pas à quel point cela va menacer à long terme l’intégrité de la Genève internationale mais ce n’est pas une bonne chose. Les discussions officielles sont ici toujours pleines de revendications, mais c’est déjà le cas depuis une décennie un peu partout et cela ne va pas aider la cause de pouvoir rétablir un ordre international et continental qui fonctionne. 


[1] « Le Quincy Institute est un groupe de réflexion sur les politiques publiques nouvellement formées à Washington, D.C., dont la mission est de promouvoir des idées qui éloignent la politique étrangère américaine d’une guerre sans fin et l’orientent vers une diplomatie vigoureuse dans la poursuite de la paix internationale. Il envisage un monde où la paix est la norme et la guerre l’exception. L’Institut est transpartisan et fonctionne indépendamment de tout parti politique. » https://www.linkedin.com/company/quincyinst/about/

[2] Courant fondé par Kenneth Waltz dans son ouvrage Theory of International Politics en 1979 qui a pour fondement l’idée que le comportement des États est déterminé par l’anarchie du système international.

[3] En 2018, Meng WanZhou, directrice financière de Huawei, est arrêtée par les autorités canadienne à la demande de la justice américaine, en application d’un traité bilatéral entre les deux États d’Amérique du Nord. Peu de temps après, les autorités chinoises arrêtent les « deux Michael », Michael Spavor et Michael Kovrig, accusés d’espionnage. Ces événements ont déclenché une crise diplomatique sans précédent entre la Chine et le Canada. 


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