Conférence sur la sécurité de Munich : l’Europe en proie à la paralysie en matière de défense
L’histoire retiendra dans la carrière politique du nouveau vice-président américain J.D. Vance, que sa nouvelle vie à l’international a probablement démarré à la conférence de sécurité de Munich le 14 février 2025. Alors que la communauté internationale présente sur place, s’attendait à un discours sur la géopolitique et la sécurité de la planète, le numéro deux américain s’est livré à une charge très agressive contre l’Europe dépendante. En 2007, les Occidentaux n’ont ni écouté Poutine, ni réagi à ses avertissements. Vont-ils répéter la même et fatale erreur stratégique en 2025, alors que J.D. Vance vient d’acter la rupture du « lien transatlantique » ?
A tel point que le vieux continent, qui semble tombé de son arbre depuis novembre dernier, a du mal à y voir clair et continuent à commenter et à critiquer tous les faits et gestes de la nouvelle administration américaine au lieu d’avancer. Si beaucoup de dirigeants de l’Union se sont empressés de féliciter le milliardaire pour son retour à la Maison Blanche, à l’issue du scrutin du 4 novembre dernier pour attirer sa sympathie/compassion, peu ont compris que tout ce qu’avait annoncé le candidat républicain dans son programme de campagne n’était pas une batterie de fake news et de menaces en l’air : comme tout le monde, l’Europe paierait cher le soutien américain et plus encore, la mutation, voire le retrait de ce soutien. Alors que l’Union devrait y voir une chance pour émerger, elle préfère se racrapoter bien au contraire, alors que pendant des décennies les Américains avaient tout fait pour nous empêcher de construire la fameuse Europe de la défense. Nous sommes confrontés à un vrai test de vérité comme les ordalies au Moyen-Âge, ces épreuves du feu, vécues comme le jugement de Dieu.

Depuis un mois, la Commission européenne peine à faire entendre sa voix, face à une Amérique qui a décidé de privilégier ses propres intérêts, après des années où elle considère que nombre de partenaires ont profité d’elle et ont vécu sur l’os américain, aussi bien en termes de balance commerciale que d’aides américaines tous azimuts. L’Europe qui proclame depuis tant de décennies qu’elle aurait grandi et pourrait enfin assumer sa propre défense n’y est jamais parvenue. Où en est-on de la fameuse « Commission géopolitique » tant vantée par Ursula Von der Leyen ? Quid de l’autonomie stratégique européenne et de sa « boussole stratégique » ? Nous avons déjà perdu le Sud, nous sommes en train de perdre le Nord avec l’Alliance atlantique, et au fond, nous sommes totalement à l’ouest. Non seulement notre boussole stratégique n’a pas de cap, mais elle ne semble plus désormais avoir aucun sens.
Les Européens se bercent d’illusions et de slogans incantatoires depuis des années, mais où est le vrai programme de l’Union de la Défense ? Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, et son tsunami quotidien d’annonces, pas même un sommet de chefs d’Etats européens n’a été pensé pour prendre acte des changements dans la relation transatlantique et décider d’un grand plan stratégique et militaire. Personne n’a osé reconnaître le mérite de Trump qui souhaite que nous dépensions 5% de notre budget pour la défense afin de nous en servir pour nos intérêts propres. C’est cet argent qui aurait pu aller à la création d’une industrie européenne de l’armement notamment.
Nous tremblons comme des feuilles au lieu d’agir. Comment dès lors reprocher aux Américains leur choix du repli après avoir trop payé comme ils le pensent? Même si l’Union européenne a créé une formidable aire d’échanges économiques, elle est restée un nain politique et géopolitique qui passe son temps à distribuer les bons et les mauvais points à la planète : une armada de fonctionnaires, une surenchère législative, une parole moralisatrice, tout ce qui peut agacer au bas mot le nouveau locataire de la Maison Blanche, dont J.D. Vance s’est fait le porte-voix à Munich.
Les temps ont changé pour l’Europe passive : ceux du protectionnisme, mais aussi cette nouvelle ère de résurrection de la suprématie américaine, que Trump a résumé par son célèbre MAGA (Make America Great Again) auraient dû être anticipés. Depuis des mois, il a dit qu’il avait décidé d’allouer ces flots d’argents déversés sur la planète à des objectifs bien plus nobles et justes, à l’Amérique en premier (America First). Et l’Europe n’a quasiment plus que ses yeux pour pleurer, et passer son temps à jouer aux Calimero et reprocher aux Etats-Unis de prendre le large : tarifs douaniers, fin du soutien à l’Ukraine, négociations avec la Russie pour boucler un accord de paix au plus vite, mise en place d’une force de maintien de la paix financés par les Européens et les Européens seuls.
Ce 14 février 2025 a été loin d’être le rendez-vous des amoureux de cette nouvelle Amérique dirigée par Donald Trump, 47è Président des Etats-Unis. La capitale de la Bavière est devenu pour beaucoup d’Européens en quelques heures, à la suite des mots de J.D. Vance, le tribunal de la sainte Inquisition américaine sur le sol européen. Le tout est apparu pour les Européens bipolaires, si pro et anti-Américains à la fois, comme un cruel procès à charge contre l’Union. L’Europe se plaint, l’Europe se braque contre l’administration Trump, mais l’Europe ferait mieux de régler ses propres problèmes plutôt que de donner des leçons aux Etats-Unis. C’est en substance le message qu’il a voulu faire passer.
Dans son speech, le Vice-Président américain, s’est immiscé dans le débat démocratique, là où ne l’attendait pas forcément. Les Européens continuent impuissants à penser que l’Amérique serait toujours derrière eux pour garantir une sécurité et une défense qu’ils ne parviennent pas à ériger comme un bouclier de souveraineté. Munich est devenu un rendez-vous incontournable des acteurs qui comptent dans les relations internationales et le sort de l’Europe se joue en ce moment, après les premiers échanges qui viennent d’avoir lieu entre Donald Trump et Vladimir Poutine. En dehors des canons de beauté du droit international et des institutions du multilatéralisme chers à l’Union européenne, Washington est en train d’esquisser un plan de paix entre Moscou et Kiev, d’où serait totalement évincé le vieux continent. Nous avons payé pour alimenter l’Ukraine face à l’agression russe et pour la défendre, mais désormais nous allons payer pour assurer le maintien de la paix que le président américaine tente d’arracher à Poutine et à Zelensky. Dans les deux cas de figure, les Européens béats et pris dans leur fantasme atlantique, comme beaucoup d’idiots utiles de Washington, devront nouveau se saigner pour espérer enfin de la sécurité. Il n’y a à l’heure actuelle dans les mots de Trump et de Vance aucune place pour les plaintes et complaintes des Européens. C’est dur après les choix stratégiques effectués par Bruxelles de soutenir l’Ukraine (à fonds perdus) depuis l’invasion du 24 février 2022 par Vladimir Poutine.
Mais plutôt que d’évoquer ce sujet crucial à l’heure actuelle, JD Vance a fait le choix dans son discours de s’en prendre aux fondements même de l’Europe, qu’il n’apprécie pas plus que son chef, en dressant le procès d’une démocratie attaquée de toutes parts (immigration et terrorisme notamment). Pour lui, les Européens seraient les premiers à bafouer les valeurs communes qu’ils partagent avec les Américains. Bien sûr on peut en discuter. S’il conteste la remise en cause des élections roumaines, qui donnaient en tête un candidat d’extrême-droite, il apportait son soutien à Elon Musk, et ses prises de positions en faveur de l’AFD, alors que les élections en Allemagne ont lieu dans une semaine. Remettre en cause les propos de l’homme le plus riche du monde alors qu’il ne s’agirait que d’une simple opinion, contrevient directement selon lui à une atteinte à la démocratie et à la liberté justement d’opinion.
Il semble que pour une fois l’Europe soit singulièrement remise en cause pour son paternalisme et ses leçons à la terre entière en matières de droits de l’homme. Et ça fait mal. Mais cela doit nous pousser à réfléchir sur notre avenir et notre propre sécurité: devons-nous exister chaque jour un peu plus contre ce nouveau monde qui vient ou dans la négociation et la coexistence avec ? Face à un Trump et un Vance, nous avons perdu notre reliquat de crédit politique, de notre superbe droitsdelhommiste.
De toute façon, rien de ce que nous défendons chez nous n’impressionne la nouvelle administration ou même ne l’intéresse. En novembre dernier, Ursula Von der Leyen s’est prosterné devant Trump à peine réélu, et a abattu de façon absurde ses cartes en offrant sans consulter personne d’acheter plus de gaz américain. Il aurait fallu garder ce « bargaining chip » dans une future négociation. On ne peut rien imaginer de plus faible et absurde, puisque nous n’avons plus rien à offrir dans la pression actuelle exercée par Washington. C’est aussi pour cela que la nouvelle administration soutient tous les courants politiques qui cherchent à conjurer le sort et se lever contre la transformation progressive que Trump et Vance jugent néfaste et pour laquelle la Commission ne fait rien : une forme d’ensauvagement et de laisser aller de l’Europe ! Ce que ces deux-là détestent le plus chez nous, c’est la lourdeur européenne et notre inertie : si l’immigration illégale est un problème, il faut faire quelque chose. Si le soutien à l’Ukraine n’a pas apporté la victoire, il faut faire quelque chose d’autre. Washington secoue le cocotier européen durement. C’est comme pour une entreprise, si le résultat n’est pas là, il faut changer de stratégie. Trump et Vance ne comprennent pas l’entêtement de l’Union, qui vit de rêves, de fantasmes et de mirages : la victoire de l’Ukraine, l’effondrement de la Russie de Poutine, l’entrée de Kiev dans l’OTAN, le retour aux frontières d’avant 2014, etc. Pete Hegseth, le Secrétaire d’Etat à la Défense a calmé nos dernières ardeurs le 12 février dernier, en déclarant lors de la réunion de l’OTAN, qu’il n’y aurait jamais d’Ukraine dans l’OTAN et aucune rétrocession de la Crimée et des territoires russophones conquis depuis 2022 par la Russie.
Pourquoi J.D. Vance s’est-il donc acharné à Munich sur l’Europe, comme pour enfoncer le dernier clou du cercueil ? L’Europe est-elle devenue son propre ennemi ? Cela pourrait bien s’apparenter à un comportement de pervers manipulateur, le sadique qui s’acharne sur sa victime pour lui faire perdre confiance. Mais quoi d’autre au fond pour réveiller l’Europe ? Nous l’avons dit à maintes reprises : les quatre ans à venir, sont une occasion unique pour l’UE de tout mettre en œuvre pour fonctionner par elle-même en termes de souveraineté économique, énergétique et de défense. Il serait temps que les Européens se saisissent de l’opportunité offerte par le retour au pouvoir de Donald Trump pour affirmer leur autonomie stratégique. C’est là-dessus que le jeune JD Vance, vice-Président des Etats-Unis a mis le doigt un jour de février à Munich. C’est ce qu’on appelle la thérapie du « shocking system ». Ce n’est plus aux Etats-Unis de jouer les nounous. Dans la nouvelle jungle mondiale et à l’ère des citoyens couvés aux réseaux sociaux, l’Europe doit se réinventer et montrer ses dents, très vite, au risque de se retrouver dévorée.