Abdoulahi Attayoub
Le Sahel central, qui englobe principalement le Mali, le Burkina Faso et le Niger, est une région stratégique en Afrique de l’Ouest caractérisée par une grande diversité ethnoculturelle. Depuis des décennies, cette région est marquée par de graves crises de gouvernance qui se traduisent par une instabilité politique et une défiance croissante de certaines communautés vis-à-vis des autorités et des élites héritières du pouvoir politique depuis les indépendances.
La diversité culturelle et les questions de gouvernance politique qu’elle pose demeurent un angle mort des stratégies envisagées jusqu’ici pour venir à bout de l’insécurité et de l’instabilité chronique des pays concernés. Dans cette analyse, nous examinerons comment la mauvaise gestion de la diversité ethnoculturelle pèse considérablement sur la géopolitique du Sahel central, en mettant en lumière les rapports entre les peuples de cette région, les conflits latents qui les opposent parfois, les réponses des États et de la communauté internationale.
Une grande diversité de peuples
À l’issue de la période coloniale, la France a légué le pouvoir politique et la gestion des États nouvellement indépendants à des élites soigneusement choisies parmi certaines communautés ethniques. Ces élites ont par conséquent bâti des projets nationaux autour de référents identitaires et culturels qui laissaient peu de place aux autres communautés dont certaines ont été carrément ignorées voir combattues. L’exemple le plus édifiant est certainement ce qu’il est convenu d’appeler « la question touarègue » au Niger et surtout au Mali. Cette communauté avait déjà manifesté son refus du fait accompli de l’exclusion dont elle fut l’objet de la part de l’administration coloniale française. Son espace traditionnel, qui constitue la majeure partie du territoire des nouveaux États, lui a ainsi échappé.
Les communautés « nomades » par exemple, pratiquant un élevage extensif, se retrouvent ainsi en concurrence avec des agriculteurs issus des communautés sédentaires, ce qui génère des tensions liées à la gestion des ressources agropastorales. Les conflits pour le contrôle de ces ressources, notamment la terre et l’eau, s’intensifient dans un contexte de changement climatique, comme les sécheresses et la désertification qui les ont exacerbées. Ces tensions récurrentes se muent souvent en conflits communautaires, parfois instrumentalisées par les Etats qui arment certaines communautés contre d’autres, considérées comme récalcitrantes à l’ordre établi.
La faillite des Etats, conséquence d’une architecture institutionnelle inadaptée
Aujourd’hui, la faillite de l’Etat dans ces pays et l’échec des élites à construire des modèles de gouvernance reflétant les réalités socioculturelles expliquent au moins partiellement la pénétration de nouvelles idéologies politiques ainsi que la montée de l’ethnocentrisme qui menacent objectivement les schémas d’organisation hérités de l’administration coloniale. Le projet de l’AES (Alliance des Etats du Sahel), initié dans la précipitation par les trois pays du Sahel central pour faire face à la crise avec la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) consécutive à la série des Coups d’Etats, montre à merveille le risque d’impasse qui pourrait compromettre tout espoir d’un retour rapide à la stabilité fondée enfin sur une gouvernance plus adaptée aux réalités humaines de ces espaces sahélo-sahariens.
L’opportunisme jihadiste
La faillite de l’Etat se manifeste également par son absence quasi-totale dans certaines zones éloignées du centre et vues comme des marges qui demeurent sous administrées depuis les indépendances. Si cette situation peut s’expliquer en partie par l’étendue géographique, notamment au Niger et au Mali, elle trouve surtout sa source dans la concentration du pouvoir autour des capitales et donc des communautés environnantes. La vacance administrative et les frustrations liées au sentiment d’abandon que ressentent certaines populations sont aujourd’hui opportunément colmatées par l’offre d’acteurs non-étatiques, y compris de milices locales et de groupes djihadistes. Les Peuls, par exemple, sont fréquemment associés aux mouvements jihadistes en raison de leur forte présence parmi leurs recrues. Cela alimente des stéréotypes dangereux et crée une stigmatisation au sein des autres communautés, qui finissent par considérer les Peuls comme une menace.
L’aveuglement de la communauté internationale
La Communauté internationale s’étant souvent limitée à veiller à la stabilité de ces pays, au mépris parfois des règles élémentaires des droits humains et du droit international, a concentré son soutien sur les aspects militaires. Pour construire un avenir pacifique et venir à bout de l’instabilité chronique, la Communauté internationale devrait se montrer plus attentive à la qualité du soutien qu’elle propose à ces pays, notamment en veillant au caractère inclusif des politiques de développement et des projets dont elle est partenaire.
Perspectives, gouvernance inclusive, refondation des Etats
L’Etat ne peut être viable et remplir ses missions que s’il répond aux attentes des citoyens et qu’il est perçu comme impartial et protecteur. Des récits nationaux partagés constituent la seule voie vers la construction de nations réellement inclusives permettant à ces pays de concentrer leur énergie sur des politiques de développement plus réalistes. Les systèmes politiques trop centralisés ont montré leurs limites et la nécessité d’une autre forme d’organisation de ces Etats devient un impératif qui conditionnera leur survie à la crise actuelle. L’architecture étatique postcoloniale au Sahel a échoué à convaincre de sa capacité à permettre l’émergence d’un pacte inclusif de gouvernance. Une régionalisation réelle permettra au citoyen de retrouver le territoire correspondant à ses référents historiques, culturels et psychologiques et de désamorcer ainsi les rancœurs envers l’Etat et les communautés qui lui sont généralement associées.
Les États du Mali, du Burkina Faso et du Niger devront déployer des efforts pour assurer une meilleure représentation des différentes communautés ethniques dans les processus décisionnels. Les politiques de développement et de sécurité devront également être adaptées aux réalités locales, afin d’éviter que certaines communautés ne se sentent marginalisées. Renforcer la présence de l’État de manière positive, par le développement économique, l’éducation et la promotion de la justice sociale, pourrait contribuer à restaurer la confiance des populations dans les institutions. Un système de justice équitable et des programmes de dialogue interculturel peuvent aussi réduire les perceptions de discrimination et les tensions.