Israël, l’Iran et l’ombre d’un conflit majeur : entre menace nucléaire réelle et obsession stratégique

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By Sébastien Boussois

Depuis plus de deux décennies, la République islamique d’Iran représente pour Israël une menace stratégique majeure, en particulier du fait de son programme nucléaire. Téhéran, qui a longtemps dissimulé l’étendue de ses activités nucléaires sensibles, demeure aujourd’hui aux portes du seuil critique d’enrichissement d’uranium permettant une militarisation rapide. Cette avancée alimente de fortes inquiétudes tant à Jérusalem qu’à Washington, mais c’est surtout Benjamin Netanyahou qui, depuis ses premiers mandats, a fait de la « neutralisation de la menace iranienne » le cœur de sa doctrine sécuritaire.

Une menace nucléaire bien réelle

L’Iran, depuis les années 2000, a développé une capacité nucléaire civile officiellement destinée à la production énergétique. Pourtant, les révélations successives de l’AIEA, les fuites issues de services de renseignement occidentaux et israéliens, et les ambiguïtés persistantes autour des installations souterraines comme Fordo ou Natanz, laissent peu de doute sur la volonté de Téhéran de disposer à terme d’une capacité d’armement nucléaire. L’accord de Vienne de 2015 (JCPOA), négocié avec les grandes puissances, avait mis en pause ce processus. Mais le retrait unilatéral des États-Unis en 2018 sous Donald Trump avait relancé la dynamique nucléaire iranienne. Aujourd’hui, selon plusieurs rapports, l’Iran disposerait de suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une ou deux ogives en quelques mois, même si le passage à l’arme reste hypothétique et politiquement risqué pour Téhéran.

Pour Israël, un Iran nucléaire constitue un casus belli existentiel. L’Iran est l’un des seuls pays à contester radicalement la légitimité de l’État hébreu, tout en soutenant activement, via ses proxys (Hezbollah, Hamas, Houthis), des groupes armés hostiles. Une bombe iranienne ne serait donc pas seulement dissuasive ; elle pourrait redéfinir l’équilibre régional, affaiblir la supériorité militaire israélienne, et ouvrir la porte à une prolifération dans le Golfe (Arabie saoudite, Égypte, Turquie). C’est dans ce contexte que s’inscrit la doctrine offensive du gouvernement israélien, et plus spécifiquement l’obsession de Netanyahou.

L’obsession stratégique de Netanyahou et les risques d’escalade

Benjamin Netanyahou, plusieurs fois Premier ministre d’Israël depuis les années 1990, a bâti sa stature internationale sur une ligne rouge : empêcher coûte que coûte l’Iran d’accéder à la bombe. Sabotages d’installations, assassinats ciblés de scientifiques nucléaires iraniens, pressions diplomatiques massives sur les États-Unis : tout a été tenté. Depuis le 7 octobre, et la guerre contre le Hamas — soutenu et armé par l’Iran — le risque de confrontation directe entre Jérusalem et Téhéran n’a jamais été aussi élevé.

Des fuites suggèrent que l’état-major israélien actualise régulièrement des plans de frappe contre les installations nucléaires iraniennes, avec ou sans feu vert américain. Une telle action — même préventive et ciblée — pourrait entraîner un embrasement régional d’ampleur, impliquant le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, et des milices chiites irakiennes. Le front pourrait devenir global.

Trump, Netanyahou et le facteur américain

L’attitude du président américain Donald Trump, revenu au pouvoir après l’échec du second mandat de Joe Biden, ajoute une nouvelle couche d’imprévisibilité. Si Trump avait auparavant soutenu sans réserve Israël, allant jusqu’à reconnaître Jérusalem comme capitale, ses relations personnelles avec Netanyahou se sont sérieusement détériorées depuis les dernières élections israéliennes et les critiques publiques de ce dernier en 2021. Trump n’a jamais digéré ce qu’il perçoit comme une forme de trahison politique.

Aujourd’hui, bien que globalement favorable à une ligne dure contre l’Iran, Trump pourrait être moins enclin à soutenir Netanyahou dans une aventure militaire unilatérale. Pragmatique et centré sur les intérêts américains directs, Trump pourrait, dans un revirement typique de son style, freiner une frappe israélienne non coordonnée, notamment s’il la juge nuisible à l’économie américaine ou susceptible d’entraîner des pertes de troupes régionales. À l’inverse, si l’Iran lançait une attaque préventive ou massive, Trump pourrait réagir avec une force démesurée, risquant d’entraîner les États-Unis dans un conflit total.

Dans cette configuration instable, le jeu d’alliances devient flou, et le facteur personnel entre deux leaders populistes aux egos surdimensionnés — Trump et Netanyahou — pourrait paradoxalement accroître les risques de dérapage, là où une diplomatie froide et calculée serait plus nécessaire que jamais. La région tout entière reste suspendue à leurs humeurs, entre stratégie, rivalité et vengeance.

Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique, collaborateur scientifique du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et Directeur de l’IGE (Institut Géopolitique Européen)

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