Récemment réélu à la vice-président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), Blaise Matthey assure que la Confédération doit réaffirmer son soutien à Genève comme une place diplomatique forte. Entretien.
Propos recueillis par Vincent Malguti
Vous avez été réélu à la vice-président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), en juin. Comment s’est faite cette évolution dans cette organisation?
On va dire que je suis entré à l’OIE par la petite porte, en tant que conseiller spécial du comité de direction, en novembre 2011. Je n’avais alors aucun droit de vote, et n’apportais que mon expertise sur des points particuliers. Avec les changements de présidence, je suis devenu rapidement membre du Comité de direction, ensuite trésorier, et plus récemment vice-président de l’OIE pour l’Europe et l’Asie-centrale, en 2021.
Cette fonction de vice-président pour l’Europe et l’Asie centrale, c’était inattendu pour vous…
Effectivement. Les principes de la rotation des sièges entre les fédérations sont essentiels. Le patronat suisse est un membre parmi d’autres. Mon accession s’est faite suite au retrait d’un autre fédération. En outre, avant de prendre cette vice-présidence, je me retrouvais face à un problème, celui de ne pas être issu d’un pays membre de l’Union Européenne. Au final, cela n’a posé aucun problème, car ma fonction concerne une région plus vaste que l’Union. Reste que cela a été un engagement considérable pour moi.
Vous avez quitté la direction générale de la FER Genève, en juin 2023. En quoi cette fonction de vice-président au sein de l’OIE fut utile dans votre travail quotidien?
Dans mon parcours professionnel, j’ai toujours été très actif sur le plan international. Je me suis par exemple impliqué fortement pour la sécurité sociale au niveau mondial lorsque j’assumais des responsabilités dans ce domaine en Suisse. J’ai toujours cru que le lien entre le régional, le national et l’international était quelque chose qui élargissait la réflexion et l’action grâce à la comparaison et la prise en considération des situations et des points de vues.
Est-ce que le relation fraîche entre la Suisse et l’Union Européenne ont été un frein au cours de votre premier mandat?
Honnêtement, non. L’Europe connaît des problématiques identiques à la Suisse, et inversement. On peut citer par exemple la question migratoire, y compris sa dimension transfrontalière, la démographie ou la formation. Reste que sur le plan diplomatique, la Suisse est un cas particulier en Europe. Je le ressens très clairement dans mes fonctions, car je n’ai pas les mêmes échanges que mes collègues de pays membres de l’UE qui se rencontrent régulièrement à Bruxelles et qui ont des discussions sur des sujets qui seront débattus ensuite en Suisse ou à l’OIT.
De votre point de vue, la Genève internationale actuelle n’a pas perdu de son influence?
Genève a une place particulière. C’est le centre de la diplomatie mondiale en Europe et elle est reconnue comme telle. D’autres pays souhaiteraient disposer d’une telle infrastructure. On doit donc s’engager sans relâche pour promouvoir cette place, parfois incomprise, voire attaquée à l’intérieur même de notre pays. Pourtant, j’estime que la Genève internationale regagne de l’influence à l’extérieur dans cette période de constatation du multilatéralisme parce qu’elle est une concentration des possibilités d’échange unique en son genre par le nombre d’organisation qui s’y trouvent.
Quel regard portez-vous sur la récente étude présentée par la fondation pour Genève sur l’avenir de cette Genève internationale?
Il faut distinguer les perspectives pour l’économie et celles pour la Genève internationale, même s’il existe des relations entre les deux. Plus l’économie se porte bien ici, plus on pourra par exemple investir et s’investir en faveur d’activités internationales. Au niveau fédéral, on ne peut pas vouloir conserver une place diplomatique de tout premier plan sans y mettre les moyens adéquats, en minimisant la contribution déjà importante du canton et, comme on peut le craindre avec les plans d’économie, en lui demandant d’en faire encore davantage. Ou alors se pose la question de savoir qui assume la responsabilité de l’avenir de la place diplomatique genevoise et, partant, d’une partie essentielle de notre politique extérieure. Actuellement, nous sommes dans une situation ambiguë. C’est sans doute lié au fait qu’on sent dans une partie de la population un fort scepticisme quant à la question de l’utilité du multilatéralisme. Il est pourtant essentiel pour un petit pays comme le nôtre, comme il l’est pour la stabilité du monde. Il conviendrait d’avoir un message plus clair à cet égard, comme de se rappeler que c’est à Genève que les discussions les plus nombreuses et les plus régulières se tiennent.
À quels événements politiques et géopolitiques majeurs les employeurs suisses devront-ils prêter attention dans les prochains mois?
Sur les États-Unis, difficile de dire ce que sera le pays après les élections. Il faut aussi prêter attention aux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ainsi qu’à la situation politique et économique chinoise et ses conséquences. On ne peut jamais rien exclure. Garder un œil sur l’Afrique et l’évolution dans la partie subsaharienne, l’affirmation des BRICS et ce qu’elle va produire.
Un retour de Donald Trump au pouvoir, est-ce une mauvaise nouvelle pour les entreprises suisse?
La question n’est pas M. Trump ou Mme Harris, c’est la problématique de l’appareil qui pourrait les entourer et des décisions économiques qu’il pourrait prendre. Un président ne fait pas tout, et heureusement. Dans le passé, la politique républicaine a été parfois plus favorable à l’économie suisse que la politique démocrate.
Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour la suite de votre mandat?
Des choses très précises, sur fond d’attachement aux valeurs des Lumières. Tout d’abord, un renforcement du multilatéralisme par un discours qui réexprime sa contribution à la prévention et à la résolution des conflits. Il faut ensuite que cessent les discours d’intolérance envers autrui. Enfin, j’espère que nous n’aurons pas à gérer une nouvelle crise pandémique.