Puissances intermédiaires et multipolarité: vers un nouvel équilibre global

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By OGG

Par Rohan Sant, de retour d’Astana

Au milieu de l’Europe, c’est la Suisse qui joue depuis longtemps le rôle de «middle power» sur la scène internationale. Alors que les enjeux géopolitiques glissent vers l’extrême Est, plusieurs pays se profilent sur ce créneau affichant un désir de jouer un rôle de médiateur entre les grands blocs qui redessinent aujourd’hui les équilibres mondiaux. Les 16 et 17 octobre derniers, se tenait à Astana un forum qui entendait définir le rôle de ces puissances intermédiaires et leurs capacités d’action.

Alors que le monde bascule d’un système unipolaire vers un ordre multipolaire, un ensemble de nations de rang dit «intermédiaire» est en train d’émerger. Ces «middle powers», ou puissances intermédiaires, pourraient jouer un rôle essentiel dans le maintien de la stabilité mondiale à l’avenir. Dotées d’une puissance militaire et économique moindre que les superpuissances, elles se donnent pour missions la médiation des conflits, le renforcement de la stabilité régionale et la promotion de la coopération internationale dans des domaines variés allant de la technologie à la diplomatie. Ce sont en tout cas certaines des conclusions auxquelles sont parvenus la centaine de spécialistes, provenant d’une vingtaine de pays (Etats-Unis, Russie, Chine, tous les pays d’Asie centrale, Inde, Pakistan, France, Hongrie, Corée du Sud, Mongolie, Géorgie, Turquie, etc.) et réunis lors du Astana Think Tank Forum 2024 qui s’est tenu dans la capitale kazakhe les 16 et 17 octobre derniers.

Une influence grandissante

Dans cet ordre en transformation et notamment alors qu’un nouvel axe névralgique est en train de se former en Orient, les puissances intermédiaires disposent d’un potentiel unique: celui de former des coalitions pragmatiques, de sécuriser des avancées technologiques et d’encourager des échanges culturels et humanitaires. Yerkin Tukumov, directeur de l’Institut kazakh d’études stratégiques, à l’origine de l’organisation du forum, souligne que «ces pays peuvent développer une influence durable en investissant dans des partenariats de recherche, de santé, d’éducation et de science. Par cette approche, les puissances intermédiaires deviennent des pôles de stabilité dans un monde de plus en plus fragmenté.»

Un avis partagé par Michel Duclos de l’Institut Montaigne lors d’une des tables rondes du forum et qui a notamment décri le rôle affirmatif de pays comme la Turquie, l’Inde, et l’Arabie Saoudite dans le contexte de la guerre en Ukraine, les qualifiant de « grands bénéficiaires » de la réorganisation géopolitique mondiale, et évoquant leur capacité accrue à influer indépendamment des superpuissances traditionnelles. Pour l’ancien diplomate, ces puissances intermédiaires s’affirment par leur capacité à équilibrer leurs relations et à prendre des initiatives stratégiques.

Kazakhstan: une position stratégique et équilibrée

Comme on l’a vu récemment lors de la réunion des BRICS à Kazan en Russie, un des pôles géopolitiques majeurs est constitué de nations (Chine, Russie, Iran, notamment) qui entourent l’Asie centrale. Dans ce contexte, «le Kazakhstan, aujourd’hui plus que jamais, incarne les caractéristiques d’une puissance intermédiaire», a confirmé Akan Rakhmetullin, premier vice-ministre des Affaires étrangères, lors de son allocution d’ouverture du forum. Il a également rappelé l’importance de «la diplomatie de la deuxième voie», qui permet aux analystes, aux chercheurs et aux politiques de collaborer de manière ouverte pour trouver des solutions aux enjeux internationaux complexes. «Malgré les turbulences géopolitiques mondiales, nos principes de politique étrangère restent constants. Nous adhérons aux règles clés de la politique multivectorielle, de l’équilibre, du pragmatisme et de la protection des intérêts nationaux», a-t-il  affirmé.

Selon le ministre, la notion de puissance intermédiaire repose sur deux dimensions principales: la première est celle de la capacité, incluant la taille territoriale et démographique, ainsi que le poids politique et économique. La seconde dimension est celle d’une position équilibrée, ancrée dans la modération. «C’est précisément cette posture stratégique qui permet au Kazakhstan d’avoir une  certaine influence, en se tenant à l’écart des extrêmes et en jouant un rôle de médiateur dans les conflits régionaux», a-t-il conclu.

Un rôle pivot face aux crises mondiales

Dans un contexte de crises mondiales croissantes – conflits régionaux, turbulences économiques, changements climatiques, crises alimentaires et migratoires – les puissances intermédiaires pourraient s’imposer comme des acteurs clés capables de stabiliser les relations internationales. Le Président Kassym-Jomart Tokayev a exprimé cette vision lors de son allocution d’ouverture du second jour du forum: «Tandis que les puissances dominantes s’affrontent et s’enlisent dans leurs rivalités, il revient aux puissances intermédiaires de maintenir le dialogue et de soutenir les structures qui font avancer la coopération mondiale.» Pour le président kazakh et ancien directeur d’UNOG à Genève, la capacité de ces nations à instaurer le dialogue et à maintenir les cadres de coopération devient primordiale, surtout lorsque les grandes puissances se trouvent paralysées par des rivalités géopolitiques, comme c’est le cas aujourd’hui entre la Russie ou la Chine et les puissances occidentales.

L’implication des puissances intermédiaires dans la résolution des conflits régionaux est d’autant plus cruciale que ces derniers se complexifient, notamment avec l’apparition d’acteurs non étatiques et de forces par procuration. La volatilité des chaînes d’approvisionnement mondiales, accentuée par des tensions géopolitiques récentes, et la montée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires exacerbent les défis mondiaux. Face à ces perturbations profondes, la plupart des participants au forum ont souligné l’importance pour les puissances intermédiaires de s’unir pour promouvoir la stabilité et le dialogue, en adoptant une approche fondée sur la coopération plutôt que sur la domination.

Construire des ponts, pas des murs

Dans un monde où les grandes puissances se tournent souvent vers la concurrence et la confrontation, les puissances intermédiaires, comme le Kazakhstan, ont un rôle précieux à jouer en matière de coopération. En formant des alliances et des coalitions orientées vers des solutions pragmatiques, ces pays peuvent démontrer qu’il est plus intéressant et bénéfiques de bâtir des ponts plutôt que des murs. Comme l’a souligné le président kazakh, «face à l’escalade des défis internationaux, l’avenir collectif repose sur notre capacité à travailler ensemble et à proposer des réponses communes».

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