France : l’épreuve du présent

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By Alain Jourdan

Par Alain Jourdan, secrétaire général de l’Observatoire Géostratégique de Genève

J’aime mon pays. Je suis farouchement attaché à une certaine idée de la France. Pourtant, aujourd’hui, force est de constater que quelque chose s’est rompu. Nous traversons un moment où le présent nous juge, nous éprouve, nous met face à nos contradictions. Ce n’est plus seulement une crise politique ou sociale : c’est une crise de sens. Et c’est peut-être la plus redoutable de toutes.

Rien ne va plus. Nos élites ont failli. Ironie de l’Histoire : toutes revendiquent un héritage gaulliste alors même que nous n’avons jamais été aussi éloignés des valeurs du gaullisme. Certains s’emploient à réduire cet héritage à une nostalgie confortable. Oui, bien des aspects de cette vision seraient aujourd’hui dépassés. Le général de Gaulle fut visionnaire, mais nul ne pouvait prévoir le monde chaotique du XXIᵉ siècle.

Cependant, il avait au moins compris une chose : la tentation éternelle de la lâcheté politique. Il savait « l’appétit sans fin pour le pouvoir, au mépris de l’intérêt collectif ». Car, au fond, le gaullisme n’est pas un programme : c’est une posture morale, qui place au-dessus de tout le sens de l’État et le service du bien commun.

Et comment ne pas rappeler ces mots, simples et immenses :

« Le seul combat qui vaille est celui de l’homme pour l’homme. » — Charles de Gaulle

Aujourd’hui, la France n’est pas orpheline d’un homme, fût-il charismatique : elle est orpheline de ses idéaux. Nous n’arrivons plus à affronter le présent, et pourtant nous spéculons déjà sur celui qui tiendra le gouvernail d’un navire qui prend l’eau. La responsabilité n’incombe pas seulement à un président ou à un camp : elle est collective.

Nous avons passé des décennies à donner des leçons au reste du monde sans avoir le courage de nous regarder dans le miroir. Et maintenant que nous avons un genou à terre, une partie du monde rêve de nous voir mordre la poussière. Nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité — parfois défendues au prix du sang — sont jugées « ringardes », alors qu’elles n’ont jamais été aussi nécessaires.

Plutôt que de chercher un second souffle dans ce qui fait notre richesse — notre diversité humaine, culturelle, intellectuelle — nous nous empoisonnons à respirer l’air vicié d’une pièce sombre où quelques fanatiques entretiennent l’idée d’une France rabougrie, refermée sur elle-même. Au moment où nous devrions nous ouvrir à un monde fracturé pour y porter des idées neuves, nous nous réfugions dans une cave obscure où ne poussent que les champignons de la haine.

La France est plus grande que cela.

La médiocrité ambiante nous a habitués à penser petit, à mépriser l’avenir, à nourrir des obsessions stériles et destructrices. Mais l’Histoire est un vent puissant : nul doute qu’elle jugera sévèrement cette période. Rousseau nous rappelait que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». Et Camus écrivait : « Chaque génération se croit destinée à refaire le monde ; la mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas, mais sa tâche est peut-être plus grande : empêcher qu’il ne se défasse. »

Pour retrouver sa force et sa place dans le monde, la France devra se reconnecter à elle-même, en acceptant que la France d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. La regretter, c’est ignorer qu’elle porte, au plus profond de son histoire, une certaine idée de l’Homme, quel que soit son origine, sa religion ou ses convictions. Comme le disait Victor Hugo :

« La France n’est grande que lorsqu’elle parle à l’humanité. »

L’épreuve du présent n’est pas une condamnation. C’est une invitation. Une chance, peut-être, de redevenir grands.

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