Soudan : entre deux tyrannies, les avertissements d’un médiateur hors pair

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By Inès Armand

Lors d’un side event organisé le 2 juillet 2025 par l’European Public Law Organization, en marge de la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, une intervention a marqué les esprits par sa profondeur d’analyse et sa force d’alerte : celle de Mongi Hamdi, ancien ministre des Affaires étrangères de Tunisie et haut responsable onusien, connu pour être un médiateur hors pair dans plusieurs crises africaines.

Intitulée « Le Soudan entre deux tyrannies : intérieure et extérieure », son intervention a dressé un tableau impitoyable de la trajectoire sanglante du Soudan, entre conflits endogènes et prédations étrangères, s’appuyant sur une expérience de terrain rare et une lucidité politique nourrie de décennies de diplomatie active.

Mongi Hamdi n’est pas un expert de salon. Ancien chef de la MINUSCA, il a dirigé la mission des Nations unies en République centrafricaine au plus fort de la crise, et a exercé d’autres fonctions de haut niveau au sein de l’ONU, notamment dans la Corne de l’Afrique. Il connaît les logiques de guerre, les fractures communautaires, et surtout les impasses diplomatiques façonnées par les intérêts croisés des grandes puissances. À Genève, c’est avec cette autorité-là qu’il est intervenu, sans notes, sans détours, et avec une hauteur de vue saluée dans les couloirs du Palais des Nations.

« Le Soudan traverse la pire crise humanitaire au monde, mais ce drame est loin d’être une exception dans son histoire », a-t-il lancé en ouverture. Rappelant les deux guerres civiles précédant et suivant l’indépendance du Sud-Soudan, il a mis en évidence les causes structurelles du conflit : l’instabilité politique chronique, la domination idéologique de l’islam politique, et l’effondrement des institutions.

Hamdi insiste sur un point central : le rôle prédateur de l’islam politique dans la formation de l’État soudanais, en particulier sous Omar el-Béchir, au pouvoir pendant trente ans. « Sous Béchir, l’islam est devenu une idéologie d’État. Les Frères musulmans ont structuré la vie politique, avec l’appui des grandes confréries religieuses », explique-t-il, évoquant Hassan al-Tourabi, figure emblématique du fondamentalisme soudanais. Il rappelle que les confréries religieuses ont même fondé leurs propres partis politiques, instaurant une confusion durable entre religieux et politique, freinant toute tentative de transition démocratique.

Mais le regard du diplomate ne s’arrête pas aux dynamiques internes. Il dénonce la mainmise croissante de puissances étrangères sur les ressources et le territoire soudanais : or, terres arables, accès stratégiques à la mer Rouge et aux zones sahéliennes. « Le Soudan produit 70 tonnes d’or par an, dont 80 % disparaissent des circuits officiels. Ce n’est pas un simple trafic : c’est une captation organisée, dans laquelle certaines puissances ferment les yeux ou participent activement », accuse-t-il. Derrière cette richesse convoitée, la Russie (via le groupe Wagner), la Chine, la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite, mais aussi l’Égypte — préoccupée par les alliances du Soudan avec les puissances du Golfe — avancent leurs pions.

« Le Soudan n’est que la partie visible de l’iceberg. C’est l’Afrique toute entière qui souffre de cette logique de domination et de fragmentation. L’Afrique est traitée comme un réservoir à exploiter, une vache à lait géostratégique », déclare Hamdi, dans un propos fort, applaudi par les participants.

Lui qui a œuvré pour la paix en tant que ministre, diplomate et envoyé spécial, appelle à repenser les relations Afrique-Occident, à sortir d’une logique utilitariste pour bâtir une architecture de coopération équitable, durable et respectueuse des souverainetés africaines. Reconnu pour son calme stratégique, son intuition politique et sa capacité à dialoguer avec toutes les parties, Mongi Hamdi est l’un des rares diplomates africains à avoir été sollicité par les Nations unies pour gérer des dossiers sensibles, du Sahel à la région des Grands Lacs. Son passage à Genève, à l’heure où le Soudan s’enfonce dans l’horreur, rappelle combien la parole des médiateurs expérimentés est précieuse — surtout lorsqu’elle ose déranger, et sortir des grilles de lecture habituelles.

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