Le Canada traverse une période critique. Confronté à des tensions commerciales croissantes avec les États-Unis, notamment sous l’administration Trump, le pays amorce une transformation stratégique : s’appuyer sur des chantiers phares d’infrastructures pour diversifier ses échanges, stimuler l’économie intérieure et forger une plus grande autonomie. Les tensions avec Washington ont déjà provoqué une contraction économique de 1,6 % au deuxième trimestre 2025, marquée par un chômage en hausse (7,1 %), le niveau le plus élevé depuis 2016 hors pandémie. Face à cette crise, le Premier ministre Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et de la Banque du Canada, a mis en marche une offensive audacieuse. Son mot d’ordre : « build, baby, build », promesse d’une transformation économique qu’il présente comme la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.
En juin dernier, son gouvernement a fait adopter la loi « One Canadian Economy Act », destinée à supprimer les barrières commerciales interprovinciales et à accélérer les procédures d’autorisation des projets d’envergure nationale. Pour coordonner ces chantiers, un Bureau des grands projets a été ouvert à Calgary en août, chargé de superviser et d’accélérer la réalisation des infrastructures jugées stratégiques. L’objectif affiché est clair : briser la dépendance canadienne vis-à-vis du marché américain et se tourner vers l’Europe et l’Asie pour sécuriser de nouveaux débouchés.
Les premiers résultats de cette politique commencent à se concrétiser. Le terminal LNG Canada, inauguré en juin, a expédié ses premières cargaisons de gaz naturel liquéfié vers l’Asie, marquant une rupture symbolique avec l’exclusivité du marché américain. L’expansion du pipeline Trans Mountain, désormais pleinement opérationnelle, a déjà généré des revenus supplémentaires évalués à plusieurs milliards de dollars. D’autres projets suivent : Woodfibre LNG, d’un coût de près de 7 milliards de dollars, ou encore Cedar LNG, premier terminal de GNL à majorité autochtone, porté à plus de 50 % par la Nation Haisla. Dans le domaine des transports, l’ambitieux projet ferroviaire « Alto », une ligne à grande vitesse reliant Québec à Toronto sur près de 1 000 km, pourrait générer jusqu’à 50 000 emplois sur une décennie. À plus long terme, le « Corridor Nord canadien », conçu comme un axe multimodal de 10 000 km reliant routes, rails, pipelines et réseaux électriques, illustre la volonté du pays de se doter d’infrastructures capables de structurer son économie à l’échelle continentale.
Le plan d’investissement global, estimé à environ 500 milliards de dollars, s’accompagne d’un fonds stratégique de 5 milliards baptisé « Buy Canadian ». Ce dernier vise à soutenir les secteurs fragilisés par les tarifs américains — acier, aluminium, bois —, à encourager l’achat local et à alléger les contraintes imposées aux constructeurs automobiles, notamment en suspendant temporairement l’objectif de 20 % de ventes de véhicules zéro émission dès 2026. Le gouvernement adopte ainsi une posture paradoxale : il prône l’austérité budgétaire, promettant un retour à l’équilibre d’ici trois ans, tout en injectant massivement de l’argent public dans des projets stratégiques.
Cette stratégie, qui mêle rigueur financière et volontarisme industriel, ne fait pas l’unanimité. Les ONG environnementales, dont Greenpeace, dénoncent un retour en arrière qui compromet les engagements climatiques du Canada et alerte sur la multiplication des projets liés aux énergies fossiles. Plusieurs communautés autochtones, elles, expriment leur inquiétude face à une croissance qui pourrait se faire au détriment de leurs droits territoriaux, même si certaines, comme la Nation Haisla, participent activement à certains projets.
À l’heure où les États-Unis renouent avec un protectionnisme agressif, le Canada tente de redéfinir sa place dans l’équilibre mondial. En misant sur des chantiers gigantesques, le pays espère résister aux pressions de son voisin et s’imposer comme un partenaire énergétique et logistique incontournable en Europe et en Asie. Plus qu’un simple plan de relance, cette politique marque une volonté de reconquête souveraine, susceptible de transformer durablement le visage économique et géopolitique du Canada.