
On célèbre aujourd’hui la rencontre entre responsables américains et ukrainiens à Genève comme un « retour » triomphal de la Genève internationale. Mais cette mise en scène masque une réalité bien plus dérangeante : les discussions déterminantes sur l’avenir de la guerre ne se tiennent pas à Genève — elles se jouent à Abou Dhabi, loin des regards, entre Russes et Américains, en tête-à-tête. Et surtout, sans les principaux concernés.
Ce face-à-face bilatéral, hors de tout cadre multilatéral, montre à quel point l’ordre international que Genève symbolisait est en train de s’effriter. On ne passe plus par les institutions, on ne cherche plus l’inclusivité, on ne respecte plus l’idée élémentaire que la paix doit impliquer ceux qui en paieront le prix. Les grandes puissances décident entre elles, comme si l’Ukraine n’était qu’un dossier, pas un peuple.
Genève, pourtant bâtie sur la conviction que la paix se construit dans la transparence et sous l’égide du droit international, n’est plus qu’un décor. Ici, aucun processus onusien, aucune responsabilité collective, aucune légitimité institutionnelle. Pendant qu’on organise des réunions symboliques au bord du Léman, les discussions réelles — celles qui portent sur les lignes de front, les garanties de sécurité, l’avenir territorial — se déroulent en secret aux Émirats, dans un format qui contourne tout ce que Genève a incarné pendant un siècle.
C’est cela, l’héritage de la diplomatie trumpienne : une diplomatie transactionnelle, fermée, où les puissants s’arrangent entre eux et où l’on convertit les lieux chargés de sens — comme Genève — en vitrines. La Suisse, loin d’être un acteur, se contente désormais d’héberger. Elle n’est plus médiatrice, elle est hôtelière.
Le paradoxe est cruel : ceux qui se réjouissent de voir Genève « revenir » entérinent en réalité son effacement. La ville ne pèse plus sur la paix ; elle sert à maquiller un processus qui se déroule ailleurs, sans cadre multilatéral, sans transparence, sans les parties directement concernées. Si l’avenir de l’Ukraine se négocie entre Washington et Moscou à Abou Dhabi, c’est un contournement pur et simple de tout ce que Genève représente.
À ce rythme, Genève ne sera plus un centre décisionnel, mais un simple lieu de passage — un hôtel de passe diplomatique — pendant que les véritables décisions se prennent ailleurs, entre puissances, au mépris du droit et des peuples.