Genève face au désenchantement américain

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By Alain Jourdan

L’entrée de la Mission permanente des Etats-Unis auprès de l’ONU à Genève.

Derrière le discours rassurant des autorités suisses, la réalité diplomatique genevoise est rattrapée par l’hostilité persistante de Washington envers le multilatéralisme.

À écouter Nicolas Bideau, chef de communication du Département des affaires étrangères (DFAE), Genève demeure une évidence diplomatique, un centre naturel du dialogue international et un pilier intact du multilatéralisme. Le discours est rodé, optimiste, presque incantatoire: dans un monde fragmenté, la Genève internationale resterait un refuge, un point de convergence incontournable pour les grandes puissances. Pourtant, ce récit peine de plus en plus à résister à l’épreuve des faits.

Car la réalité géopolitique actuelle, et en particulier l’attitude des États-Unis sous l’administration Trump, contredit frontalement cette vision rassurante. Les messages diffusés par la U.S. Mission Geneva sur les réseaux sociaux en offrent une illustration claire. Sous couvert d’appels à l’« efficacité » et à la « réforme », ils relaient une critique constante du système onusien, présenté comme coûteux, bureaucratique et déconnecté des priorités américaines. Loin de renforcer Genève comme centre du multilatéralisme, cette communication contribue à en fragiliser la légitimité politique.

Ce positionnement n’a rien d’anecdotique. Il s’inscrit dans une ligne politique assumée par Donald Trump, qui a multiplié, durant son mandat, les retraits, les gels de financements et les mises sous condition de la participation américaine aux organisations internationales. À Genève, cela s’est traduit par une pression constante sur des institutions clés : Conseil des droits de l’homme, agences spécialisées, mécanismes multilatéraux dont la survie dépend largement des contributions des grandes puissances. Dans ce contexte, parler de Genève comme d’un socle stable relève davantage de la posture diplomatique que de l’analyse lucide.

L’optimisme de Nicolas Bideau apparaît ainsi en décalage croissant avec l’évolution du rapport de force international. Mettre en avant l’histoire, la neutralité et l’attractivité de la Suisse ne suffit plus à masquer une transformation structurelle : le multilatéralisme n’est plus un consensus, mais un champ de bataille idéologique. Pour Washington, Genève n’est plus un centre normatif à préserver, mais un outil à remodeler — voire à contourner — en fonction d’intérêts strictement nationaux.

Ce décalage pose une question centrale pour la diplomatie suisse: à force de défendre une image idéalisée de la Genève internationale, ne risque-t-elle pas de sous-estimer l’ampleur de la crise? L’affaiblissement progressif de l’engagement américain ne menace pas seulement des budgets ou des programmes, il remet en cause le rôle même de Genève comme cœur battant du système multilatéral. Continuer à parler d’«évidence» genevoise, sans intégrer cette hostilité grandissante, revient à confondre espoir diplomatique et réalité politique.

En ce sens, le discours de Nicolas Bideau semble moins décrire le monde tel qu’il est que tel qu’il fut — ou tel que la Suisse souhaiterait qu’il reste. Or, à Genève aujourd’hui, le multilatéralisme ne vacille pas par accident : il est contesté, frontalement, par l’une de ses puissances fondatrices. Ignorer ce fait, c’est prendre le risque de bâtir une stratégie sur un optimisme désormais dépassé.

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