Crise énergétique en Transnistrie : défis humanitaires, enjeux politiques et menaces régionales

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By La rédaction

par Viktoria Gudzenko
La Transnistrie, qui s’étend le long du fleuve Dniestr (ce qui donne son nom à cette région), a toujours été un point de croisement des cultures et des intérêts. Au XVIIIe siècle, la région est passée sous le contrôle de l’Empire russe, devenant une partie importante de son expansion vers le sud-ouest. Après la Première Guerre mondiale, la Transnistrie est restée dans le cadre de l’Ukraine soviétique, tandis que la voisine Bessarabie a rejoint la Roumanie. En 1924, la République Socialiste Soviétique Autonome Moldave (RSSAM) a été créée sur ce territoire. Il est intéressant de noter qu’à cette époque, l’alphabet cyrillique a remplacé l’alphabet latin comme alphabet officiel de la langue moldave, ce qui a eu des conséquences profondes sur l’identité régionale.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les territoires de la Bessarabie et de la Transnistrie ont été unifiés dans une seule république soviétique, la RSS Moldave. Cependant, malgré une gestion commune, les différences culturelles et linguistiques entre la Transnistrie, plus russifiée, et le reste de la Moldavie sont restées une source de tensions.

Aujourd’hui, la Transnistrie reste une région avec un conflit gelé. Elle dépend du gaz russe et du soutien financier, et son statut politique demeure un sujet de débats internationaux. La Transnistrie peut être considérée comme une « zone grise » en droit international. C’est un territoire qui fonctionne de facto comme un État indépendant, mais qui n’a pas de reconnaissance internationale.

Le conflit transnistrien : comment tout a commencé

Le conflit transnistrien (1990-1992) a été le troisième grand affrontement armé dans l’espace post-soviétique après l’effondrement de l’URSS. La tension dans la région a commencé à s’intensifier à la fin des années 1980, lorsque le nationalisme moldave a commencé à s’exprimer, notamment par le désir de rapprochement avec la Roumanie et l’introduction de l’alphabet latin dans la langue moldave. Cela a suscité des inquiétudes parmi la population majoritairement russophone de la Transnistrie, qui craignait de perdre son identité culturelle et son influence politique. Donc, contrairement à d’autres conflits, tels que le Haut-Karabagh ou l’Ossétie du Sud, où les contradictions ethniques jouaient un rôle important, la principale cause du conflit en Transnistrie résidait dans les tensions politiques et linguistiques. 

La majorité moldave cherchait à rétablir l’alphabet latin comme alphabet principal et à faire du moldave la langue nationale principale, ce qui a provoqué l’opposition des habitants russophones de la Transnistrie, dont beaucoup rejetaient ces changements. En réponse à ces changements, la Transnistrie a proclamé son indépendance en 1990, ce qui a été la principale cause du déclenchement du conflit armé. Les autorités moldaves ont tenté de reprendre le contrôle de la région, ce qui a conduit à une escalade de la violence en 1992.

La situation de la Transnistrie après l’effondrement de l’URSS est devenue un exemple unique de conflit gelé, où la région ne fait partie d’aucun État reconnu internationalement, mais possède en même temps ses propres organes de gouvernement, son armée, sa monnaie (en plastique et très recherchée par les numismates!) et d’autres attributs de souveraineté.

L’intervention de la Russie

Le conflit transnistrien est également devenu le premier exemple significatif de l’intervention directe de la Russie dans les conflits post-soviétiques. La Fédération de Russie, qui cherchait à maintenir son influence sur les territoires de l’ex-URSS, a apporté un soutien militaire aux séparatistes de la Transnistrie. Les troupes russes ont participé aux opérations de maintien de la paix, ce qui a contribué à la congélation du conflit et à la stabilisation de la situation dans la région pendant une longue période.

L’intervention de la Russie a permis à la Transnistrie de maintenir son indépendance de facto, bien que la région ne fût pas reconnue par la communauté internationale. La Transnistrie est devenue l’une des premières entités post-soviétiques à subsister en tant qu’entité étatique non reconnue, soutenue par la Russie, ce qui a constitué un élément important de la situation géopolitique en Europe de l’Est.

La Transnistrie est souvent appelée « le musée vivant de l’Union soviétique ». À Tiraspol et dans d’autres villes de la région, il y a encore des statues de Lénine, les symboles d’État présentent des faucilles et des marteaux, et l’idéologie de la région conserve des traits de l’époque soviétique.

Les origines de la crise : un modèle économique basé sur le gaz gratuit

Depuis le début des années 1990, la Transnistrie, sous le contrôle de l’administration prorusse, a développé son économie en s’appuyant sur des livraisons gratuites de gaz russe. Ce gaz, acheminé via l’Ukraine, était utilisé non seulement pour les besoins domestiques, mais aussi pour alimenter les entreprises industrielles, qui bénéficiaient d’une énergie à coût nul pour produire des biens compétitifs. Cependant, à l’automne 2024, suite au conflit avec la Russie, l’Ukraine a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas son contrat de transit avec le géant gazier Gazprom. Cette décision a coupé l’accès de la Transnistrie à son principal approvisionnement en énergie. Même si la Russie avait envisagé des routes alternatives, la perte de gaz gratuit a rendu le modèle économique de la région non viable. Ainsi, la fin du transit par l’Ukraine a marqué le début de la crise, plongeant la Transnistrie dans une isolation énergétique complète.

La Russie, bien qu’elle disposât de la possibilité technique d’approvisionner la Transnistrie par  le corridor transbalkanique (passant par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Moldavie), a choisi de ne pas utiliser cette option. Cela montre que Moscou ne cherchait pas à résoudre la crise, mais à l’exploiter pour exercer des pressions sur la Moldavie et l’Ukraine. Depuis le 1er janvier 2025, date de l’arrêt complet des livraisons de gaz, la région fait face à une série de graves problèmes d’arrêt des centrales électriques. Toutes les entreprises industrielles, pilier de l’économie locale, ont cessé de fonctionner. Le manque  de chauffage en plein hiver, d’eau chaude et d’électricité a placé les 300 000 habitants de la région dans une situation de survie critique.

La situation géographique de la Transnistrie, à la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, en fait un instrument géopolitique important pour la Russie. En même temps, l’intégration de la Moldavie à l’Union européenne crée de nouveaux défis pour la région.

Malgré cette situation, les autorités de la Transnistrie, ont refusé l’aide proposée par la Moldavie, accusant Chișinău de mener une « blocus énergétique ». La crise énergétique en Transnistrie s’inscrit dans une stratégie plus large de la Russie visant à déstabiliser la Moldavie. En 2025, des élections parlementaires sont prévues en Moldavie, et Moscou cherche à affaiblir le gouvernement pro-européen de Chișinău, renforcer les forces politiques prorusses et utiliser la crise en Transnistrie comme levier pour contraindre la Moldavie à accepter une réintégration du territoire sous des conditions favorables à la Russie.

Dans le même temps, la Moldavie continue à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique. Le gouvernement a déclaré que le pays couvrirait ses besoins grâce à la production locale et à l’importation d’électricité depuis la Roumanie. La Commission européenne a exhorté les autorités transnistriennes à accepter l’aide de Chișinău pour éviter une catastrophe humanitaire, mais l’administration prorusse de Tiraspol reste fidèle à Moscou. Cette crise représente plusieurs menaces aussi pour l’Ukraine. Tout d’abord la Transnistrie pourrait être utilisée comme base pour déstabiliser la région d’Odessa. Avec l’augmentation des besoins moldaves en électricité importée de Roumanie, la concurrence sur le marché énergétique régional s’intensifie, ce qui pourrait affecter les prix en Ukraine. En cas d’aggravation de la crise, un afflux de migrants transnistriens vers l’Ukraine est possible.

L’Ukraine doit également se préparer à d’éventuels scénarios de déstabilisation orchestrés par la Russie. La crise en Transnistrie illustre parfaitement comment une dépendance énergétique peut devenir un outil de chantage géopolitique. La perte du gaz gratuit en provenance de la Russie a non seulement détruit le modèle économique de la région, mais a également engendré une grave catastrophe humanitaire. Cette situation révèle également un profond sous-texte politique: Moscou utilise la crise pour déstabiliser la Moldavie et affaiblir l’Ukraine. Cependant, la réponse de Chișinău, qui a proposé son aide, ainsi que la stratégie de l’Ukraine visant à renforcer son indépendance énergétique, montrent l’importance de la solidarité régionale.

La leçon-clé de cette crise réside dans la nécessité de diversifier les sources d’énergie, de renforcer les infrastructures et de consolider les efforts internationaux pour contrer la politique de chantage menée par la Russie. Ce n’est qu’en agissant ensemble que la Moldavie, l’Ukraine et leurs partenaires internationaux pourront construire un espace stable et sûr en Europe de l’Est, à l’abri des pressions extérieures.

La crise en Transnistrie démontre comment la Russie continue d’utiliser l’énergie comme un outil de pression géopolitique. Cependant, cette crise pourrait également être une opportunité pour repenser les dépendances énergétiques et renforcer la coopération régionale.

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