Alors que s’ouvre la 59e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le Haut-Commissaire Volker Türk alerte sur l’embrasement global, l’érosion du droit international et l’affaiblissement des institutions multilatérales, dans un contexte où les droits humains semblent relégués au second plan.
À Genève, ce lundi 16 juin, l’ambiance n’était pas à la diplomatie feutrée mais à l’inquiétude palpable. Dans un discours d’une rare intensité, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme Volker Türk a dressé devant le Conseil une cartographie du chaos mondial. De Gaza au Soudan, de l’Ukraine au Myanmar, les violations massives du droit international humanitaire ne sont plus l’exception, mais la règle. La protection des civils est devenue accessoire. Les Conventions de Genève, pourtant cardinales, sont quotidiennement bafouées. Et ce constat s’impose dans un silence international assourdissant.
La situation au Proche-Orient concentre les regards. Le Haut-Commissaire a exprimé sa « profonde inquiétude » face à l’escalade militaire entre Israël et l’Iran, appelant à une désescalade immédiate et à des négociations diplomatiques pour mettre fin aux attaques. Il a réaffirmé la nécessité du respect strict du droit international, notamment de la protection des civils dans des zones densément peuplées. Une inquiétude qui fait écho à ses propos sur Gaza, où il a dénoncé les souffrances « inconcevables » infligées à la population palestinienne et la « rhétorique déshumanisante » de responsables israéliens, tout en appelant à des enquêtes impartiales sur les attaques visant des civils. Dans ce contexte, les manquements à la transparence, l’empêchement des journalistes internationaux et l’absence de responsabilité pour les crimes commis témoignent, selon lui, d’un glissement dangereux vers l’impunité.
Car au-delà des conflits, c’est l’idée même de multilatéralisme qui chancelle. « Peut-on continuer comme si de rien n’était, alors que des puissances rejettent les accords qui structurent notre monde ? », interroge Türk. Ce questionnement résonne dans un Palais des Nations lui-même fragilisé : attaques contre la Cour pénale internationale, pressions sur les mécanismes onusiens, coupes budgétaires qui étranglent les acteurs de terrain. Le système est affaibli, et avec lui, la capacité de prévenir les crimes, de nommer les abus, de protéger les plus vulnérables.
Dans de nombreux pays, l’espace civique se rétrécit. Les journalistes, les ONG, les défenseurs des droits sont arrêtés, intimidés, réduits au silence. Les droits des femmes régressent, de Kaboul à certains États des États-Unis. Les personnes LGBTIQ+ sont de plus en plus souvent désignées comme boucs émissaires. Même les enfants, les migrants, les personnes en situation de handicap deviennent les cibles de politiques répressives ou d’un mépris assumé.
Ce que dénonce Volker Türk, c’est une marginalisation croissante des droits humains dans la hiérarchie des priorités internationales. Tandis que les budgets militaires explosent, l’aide au développement et les financements pour les mécanismes de protection s’effondrent. Tandis que l’intelligence artificielle progresse à vive allure, aucun garde-fou n’est sérieusement débattu à l’échelle globale. Et pendant que des dirigeants alimentent des « guerres culturelles », les urgences sociales, climatiques et humanitaires s’aggravent.
Pourtant, le Haut-Commissaire ne renonce pas à une lueur d’espoir. Il rappelle que nombre de pays continuent de défendre les droits fondamentaux, que des avancées – timides mais réelles – voient le jour, de la légalisation du mariage pour tous en Thaïlande à l’abolition du mariage forcé au Pakistan. Mais cet espoir est suspendu à un fil. Sans un sursaut collectif, sans une volonté politique réaffirmée de replacer les droits humains au cœur des décisions, le monde risque de glisser davantage encore dans un ordre brutal, où la force supplante le droit, et le silence remplace la justice.
« Est-ce le monde qu’imaginaient les rédacteurs de la Charte des Nations unies ? », demande Volker Türk. Il n’attend pas une réponse diplomatique, mais un engagement. Le sien est clair : continuer à documenter, à dénoncer, à défendre. Reste à savoir si les États l’entendront.