par Iyed Mejri
« Les découvertes d’hydrocarbures intensifient les rivalités, inscrivant l’Essequibo au cœur du duel sino-russe vs américain, avec un Brésil en retrait », un avis de l’expert Raphael Padula qui met en lumière l’intensification géo-économique entre le Venezuela et Guyana.
À Georgetown, début mai, une tension stratégique a surgi lorsque le Venezuela a organisé des élections symboliques dans la région contestée de l’Essequibo, invoquant même un référendum de 2023 pour justifier leur démarche. D’abord présentés à Caracas comme l’expression d’un droit historique, ces scrutins ont pourtant été dénoncés comme un « assaut » frontal contre la souveraineté guyanaise par le président Ifraan Ali, qui a dénoncé une menace à la paix régionale.

Un territoire sous haute pression énergétique
C’est en 2015 que la firme américaine ExxonMobil découvre d’immenses réserves pétrolières offshores dans le bloc Stabroek et bouleverse la donne. Le Guyana, jusque-là percu comme petit Etat anglophone marginalisé, est devenu l’un des centres de gravité du nouvel, or noir. Les gisements sont estimés à plus de 11 milliards de barils, une manne potentielle, qui représente déjà près de la moitié du PIB du pays.
C’est dans ce contexte que Caracas réactive avec beaucoup de ferveur sa revendication historique sur l’Essequibo, territoire qui représente près de 70% de la superficie du Guyana. Fin 2023, le gouvernement vénézuélien a organisé un référendum contesté, validé à 98%, appelant à l’Intégration de l’Essequibo au Venezuela. Une action saluée par le pouvoir comme “un acte de souveraineté” mais considérée par Georgetown comme une tentative d’annexion symbolique.
Des narratifs opposés mais une méfiance parallèle
Du côté Guyanais, les tensions se doublent d’une méfiance croissante envers le partenaire pétrolier principal, ExxonMobil. Le contrat signé en 2026 avec la firme américaine fait l’objet de critiques persistantes dans la presse nationale, et ce en raison de clauses jugées déséquilibrées, voire inconstitutionnelles. Plusieurs voix appellent à une renégociation pour restaurer la souveraineté économique du pays.
Face à cela, le Venezuela manie la rhétorique patriotique. Loin de se contenter d’arguments historiques, le pouvoir chaviste fait de l’Essequibo un levier de mobilisation populaire. Désignation d’un “Gouverneur de l’Essequibo” ou encore l’établissement de circonscriptions fictives, l’instrumentalisation populaire est manifeste.
Un jeu d’influence qui impacte la région
Sous le regard des tribunaux internationaux, la Cour Internationale de Justice continue de peser sur les décisions, c’est pourquoi Guyana a d’ores et déjà saisi la CIJ, qui a ordonné au Venezuela de suspendre toute action. Le non-respect répété de ces mesures expose Caracas à une violation du droit international comme l’analyse Naziba Mustabshira « la découverte de près de 11 milliards de barils de pétrole a relancé les revendications vénézuéliennes, nourries par des griefs coloniaux profonds » dans « The Essequibo Conundrum » du Journal of Peace and Diplomacy, décembre 2014.
Sur le plan militaire, les manœuvres vénézuéliennes montent d’une intensité. Selon le rapport du CSIS de mars 2025, le déploiement naval près des plateformes pétrolières offshore vise justement à forcer le Guyana à ouvrir des pourparlers sur la base d’un rapport de force. Du côté de Georgetown, la réponse n’a pas tardé : le président Ali a exhorté la population, forcée ou non, à refuser l’événement menaçant les participants de peines pour trahison. Le président vénézuélien Nicolas Maduro, quant à lui, continue d’affirmer que la région est un héritage Bolivar avec une ligne politique de persistance malgré les pressions diplomatiques.
Face à cette escalade de tensions, l’Amérique du Nord et la région entière réagissent. Le secrétaire américain Marco Rubio a assuré un soutien sécuritaire accru au Guyana, comprenant des exercices navals conjoints et des garanties de défense accrues. Dans le même temps, le Brésil a renforcé ses patrouilles à la frontière, affirmant ne tolérer aucune brèche sur sa souveraineté. Cette posture trouve sa force dans la doctrine d’équilibre régional, cherchant à éviter une militarisation croissante de la zone.
Un test pour la diplomatie continentale
Au-delà du droit international, ce dossier met à l’épreuve les capacités de médiation de l’Amérique du Sud. Les Accords de Genève de 1966, censés servir de base de dialogue, reste légalement valable, mais politiquement obsolète. L’Essequibo n’est pas un théâtre de guerre, mais il est déjà un territoire disputé, militarisé et hautement inflammable.