Interview de Senge H Sering

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By Alain Jourdan

Quelle est la situation actuelle au Gilgit-Baltistan ?  

Le Gilgit-Baltistan est sous occupation pakistanaise et chinoise. La population proteste depuis le mois dernier pour revendiquer ses droits fondamentaux. Le Pakistan utilise la sécurité alimentaire comme une arme destinée à affaiblir et donc à contrôler la population. Il y a une détérioration de la situation économique et sociale au Gilgit-Baltistan. Nous vivons sous occupation depuis 1947. Les colons pakistanais nous traitent comme des esclaves médiévaux sans aucun droits économiques et sociaux. Les ressources naturelles sont exploitées par le Pakistan et la Chine pendant que la population meurt de faim. Nous perdons nos terres, nous n’avons pas de droits constitutionnels. La culture et l’identité sont des éléments importants pour notre communauté. Nous perdons notre culture car notre langue est interdite dans les écoles ; seules les langues pakistanaises et l’anglais sont autorisées. Il y a un changement démographique important car, en plus des chinois, les familles pakistanaises s’installent au Gilgit-Baltistan. 

Les familles sont divisées depuis 1947. Les pakistanais ont interdit aux familles installées en Inde de pouvoir visiter leur famille du côté pakistanais. 

Comment décririez-vous votre communauté ? 

Nous avons trois régions et différentes cultures qui font toutes partie de l’Inde. 

Souhaitez-vous proclamer votre indépendance ?  

Avant que l’Inde ne soit divisée et que le Pakistan soit créé, les royaumes étaient soumis au droit anglais et ils pouvaient choisir de faire partie de l’Inde ou du Pakistan. Les Princes du Cachemire ont décidé de rejoindre l’Inde. Le Pakistan a décidé d’occuper un tiers du territoire en créant un environnement apolitique par la promotion de l’extrémisme religieux et par la mise en place de camps d’entraînement. 

L’Inde quant à elle, a dans sa constitution de 1950 déclaré notre communauté comme citoyens indiens, ce qui leur permet de bénéficier de droits civiques. Au regard de la situation, nous avons réalisé qu’il fallait être solidaires des provinces du Jammu et Cachemire et ce, afin que les communautés aient des droits et puissent faire partie de l’Inde.

Nous avons nos propres représentants au Parlement indien mais nous n’avons aucun représentant au parlement pakistanais. Le Pakistan envoie ses propres représentants nous gouverner. 

Est-ce que l’Inde intègre les minorités religieuses ? 

L’Inde est une grande nation. Toute personne persécutée est en droit d’obtenir l’asile politique. Nous avons accueilli des Juifs, Iraniens, Rohingyas ainsi que des pakistanais persécutés. L’Inde défend les minorités et les intègre dans la société.  La communauté musulmane est bien accueillie car nous sommes une civilisation qui s’est construite et qui a évolué de façon séculaire. 

Vous faites référence aux conséquences sur les droits humains, mais vous utilisez la notion de terrorisme économique pour décrire la situation actuelle subie par votre communauté. Pourquoi le Pakistan agit-il de cette façon ? 

La situation est la même pour les Baloutchs, Pachtouns, Ahmadis ou Chiites. Ils subissent un véritable génocide culturel et identitaire. Les mosquées et cimetières sont détruits. Les jeunes filles chrétiennes et sikhs sont enlevées pour être mariées à des pakistanais. Le Pakistan ne veut pas que nous coexistions mais que nous adhérions à leur identité. Il crée eux-mêmes leurs ennemis en tuant, emprisonnant des innocentes personnes. La présence des bases militaires pakistanaises et du terrorisme alimentent une situation d’insécurité. Le régime pakistanais a toujours entretenu de mauvaises relations avec ses voisins notamment l’Inde, l’Iran ainsi que les talibans en Afghanistan. 

Le terrorisme économique fait référence à l’impossibilité pour un peuple d’être  propriétaire de ses ressources, de pouvoir exploiter ses richesses et de bénéficier des retombées économiques et sociales. La Chine, grand ami du Pakistan, investit des millions au Pakistan et exploite le pétrole, l’uranium, le cobalt et l’or de nos provinces. Le Pakistan exploite notre eau à savoir la moitié des besoins en eau provenant de nos provinces (Jammu, Cachemire…). Aucune taxe n’est payée, il s’agit tout simplement d’un vol !

A cela s’ajoutent les dommages et impacts causés par la Chine qui exploite nos terres et fermes. Lorsque ma communauté manifeste pour revendiquer ses droits les plus élémentaires, ils sont assimilés à des terroristes. Les gens meurent de faim et on les traite de terroristes, cela est inacceptable ! 

La nourriture est importée du Pakistan. Les prix élevés ne permettent pas à la population de pouvoir y accéder. Ils doivent attendre la charité des pakistanais alors que les terres sont fertiles et productives.

La région étant riche en ressources naturelles, est-ce que des sociétés étrangères exploitent vos ressources en plus de la Chine ? 

Nous avons des sociétés canadiennes, japonaises et coréennes. Nous souhaiterions que la procédure d’octroi des licences passe par nous et non par Islamabad. Raison pour laquelle nous demandons un gouvernement autonome de façon à pouvoir gérer nos ressources naturelles.

Cela signifie-t-il que les sociétés étrangères n’emploient pas la main d’œuvre local ? 

Prenez l’exemple des chinois, ces derniers amènent leurs propres employés, biens et équipements. Ils n’emploient pas les locaux sous prétexte qu’ils ne parlent pas la même langue. Depuis 1947, nous n’avons pas de collèges, d’universités, ni de cliniques. Nous dépendons du Pakistan. De ce fait, la population n’étant pas formée, celle-ci ne peut occuper des postes de cadres ou de dirigeants par exemple. 

Il n’y a donc aucun impact social et économique ? 

Aucun développement, uniquement de l’exploitation ! Nous n’avons pas nos propres routes, ni d’infrastructures, même l’eau potable pose un problème…

Prenez le cas des écoles, il n’y a pas de toilettes, de portes voire de toits. Les élèves travaillent dans des conditions inacceptables. S’il n’y a pas de toilettes à l’intérieur des écoles, les parents des jeunes filles ne les envoient pas à l’école. Les jeunes filles sont mariées dès le plus jeune âge. Les jeunes enfants sont envoyés dans les écoles pakistanaises pour apprendre leur langue et adhérer à l’identité culturelle et religieuse pakistanaise. Pour les jeunes filles, elles sont mariées à des pakistanais qui ont 30 ans de plus qu’elles. Le Pakistan utilisera tous les moyens en sa possession pour blesser ma communauté !

Certains quittent le pays pour aller aux Etats-Unis ou en Australie, abandonnant ainsi leur culture et mode de vie. 

Quels sont vos principaux soutiens ?

Nous souhaiterions que tous les pays nous soutiennent dans nos actions. Ce qui explique notre présence au sein du Palais des Nations aujourd’hui. Le Pakistan nous exploite et porte atteinte à nos droits les plus fondamentaux.  Pour rappel, il existe une résolution du Conseil de sécurité demandant au Pakistan de se retirer du Gilgit-Baltistan. Le fait de laisser la Chine exploiter toutes nos ressources sans que nous puissions bénéficier des impacts économiques et sociaux constituent une violation de nos droits. Les kurdes, les baloutches subissent la même chose que nous. Nous ne sommes pas contre l’institution globale, nous voulons l’égalité et le respect de notre dignité. 

Seriez-vous d’accord pour entretenir un dialogue avec le Pakistan ? 

Il y a des deux aspects : à court terme et celui à long terme. Je suis sur ma terre et je ne suis pas libre de disposer de mes droits élémentaires. Ainsi je ne peux pas accéder aux soins ou manger à ma faim. Nous devons être traités comme des êtres humains avant tout et ce, dans le respect et la dignité tels que prévus par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Si nous souhaitons bénéficier de nos droits et être moins persécutés, nous devons discuter avec le Pakistan. Sur le long terme, le Pakistan doit se retirer de nos provinces ainsi que les bases militaires implantées. Le Pakistan doit respecter la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. 

Donnez-nous nos droits, rendez-nous nos terres et laisser notre communauté disposer de ses propres ressources ! Toutes les provinces appartenant à l’Inde sont dans la même situation que le Gilgit-Baltistan. 

Pourquoi cette session des droits de l’homme est importante ? Quels messages souhaiteriez-vous faire passer auprès de la communauté internationale ?

Nous souhaitons que l’Union européenne et l’ensemble de la communauté internationale soient informés des persécutions subies par notre communauté. Informer la communauté internationale des différentes violations des droits de l’homme permettra une meilleure compréhension du génocide culturel et du terrorisme en cours dans nos provinces. 

Il est important d’avoir une solution durable et non des actions sur le court terme. Dans le même temps, la communauté internationale doit être mise au courant des actions commises par la Chine et le Pakistan. La Chine agit comme une pieuvre en déployant ses tentacules dans le monde. Le Kenya, la Tanzanie, le Sri Lanka, les Philippines ou le Bangladesh sont sous l’emprise économique et financière de la Chine qui adopte une stratégie de colonisation et d’exploitation des ressources naturelles. 

La Chine persécute les Ouïghours musulmans et les Tibétains. Utilisés comme main d’œuvre esclave, ils subissent un génocide culturel destiné à leur ôter leur identité culturelle. Les Etats-Unis bannissent les biens et équipements chinois produits par les Ouïghours, Tibétains ou Mongols. Nous souhaiterions que l’interdiction d’importer des biens et produits s’étende aux pakistanais qui investissent en Chine ainsi que les entreprises chinoises qui produisent dans nos provinces. Il faut bien comprendre que nous n’avons pas le droit d’exploiter nos ressources naturelles ni de développer notre économie et agriculture. Nous sommes exclus de notre propre terre pendant que les hommes d’affaires chinois et pakistanais exploitent nos ressources naturelles. Nous possédons un passeport mais non la citoyenneté. En tant que citoyen nous n’avons ni droits juridiques, ni droits économiques et encore moins des droits sociaux. Le principe même des droits de l’homme est bafoué. À titre d’exemple, nous n’avons pas accès au système judiciaire. En cas de litige, nous devons trouver un pakistanais qui enregistrera le dossier de la Cour de justice. Nous n’avons même pas accès aux médias. Mon peuple avait manifesté durant 31 jours afin de revendiquer le droit de vivre décemment mais aucun média n’a relaté les faits. 

La session des droits de l’homme est un tremplin mais aussi le seul lieu où les revendications sont écoutées et prises en compte par la communauté internationale. 

C’est pour cette raison que nous demandons l’aide et le soutien de la communauté internationale afin de pouvoir revendiquer nos droits mais surtout faire en sorte que nous existons. 

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