Le CERN face aux enjeux contemporains  

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By Juliette Bouchet

Le Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) a donné à l’Europe une place de leader dans la recherche fondamentale depuis sa création en 1954. Sa décision de cesser toute collaboration avec la Russie soulève des questions dans un contexte où la Chine peaufine des outils très puissants. La communauté scientifique européenne peut-elle conserver son avance ? Entretien avec Arnaud Marsollier, porte-parole du CERN.

Le CERN a été construit pour promouvoir la paix par le dialogue entre chercheurs, La découverte du boson de Higgs en 2012, qui permit de comprendre l’origine de la matière dans l’univers et valut aux chercheurs Peter Higgs (écossais, mort en avril dernier) et François Englert (belge) le prix Nobel de physique en 2013, confirme le savoir-faire et la compétitivité des infrastructures du CERN. Laquelle fait aujourd’hui face au défi de la Chine, qui prévoit la construction d’un accélérateur de particules de 100 km, quatre fois plus puissant que celui du CERN. Par ailleurs, le CERN, qui fut construit pour promouvoir la paix par le dialogue entre chercheurs, a décidé de retirer à la Russie son statut d’observateur, Une confirmation que les espaces de neutralités sont de plus en plus rares. Le projet européen, amputé de la collaboration avec la Russie, sera-t-il assez fort pour conserver son avance en matière de recherche scientifique, face à la Chine notamment ? Arnaud Marsollier, porte-parole du CERN, répond.

La Tribune des Nations (LTDN): comment fonctionne le CERN ?

Arnaud Marsollier (AM): Le CERN est le plus grand laboratoire de physique fondamentale au monde et son rôle est de fabriquer des infrastructures notamment des accélérateurs de particules au bénéfice de la communauté des physiciens pour leur permettre d’explorer l’infiniment petit, d’explorer le fonctionnement de la nature à l’échelle fondamentale. Le CERN est aujourd’hui surtout connu pour le LHC, le grand collisionneur de hadrons, un endroit unique où l’on a découvert en 2012 le boson de Higgs. Le CERN travaille pour ce qu’on appelle des « utilisateurs » qui viennent du monde entier (plus de 100 nationalités). Il y a 23 États membres et des collaborations avec des pays sur tous les continents. Les décisions engageantes sur le long terme sont prises par le Conseil du CERN constitué par les représentants de chaque État membre. Ils assistent à toutes les réunions de Conseil et chaque binôme est composé d’une personne issue du monde scientifique et d’une autre issue du monde politique.

LTDN: Quelles sont les conséquences scientifiques de la découverte du boson de Higgs en 2012 ?

AM: Le boson de Higgs n’est pas n’importe quelle particule. Sa découverte permet de compléter la théorie du modèle standard qui décrit toutes les particules élémentaires.  Grâce au champ de Higgs, cette particule permet de donner aux autres particules une masse. Il s’agit donc d’une clé pour aller plus loin dans la compréhension. Cependant, il y a beaucoup de mystères, notamment la matière noire. Lorsque nous observons l’univers, nous n’en voyons qu’une toute petite partie. Nous savons que la matière noire existe car nous sommes capables de voir certaines de ses manifestations, notamment gravitationnelles. Par exemple, les galaxies ne tournent pas à la vitesse à laquelle elles devraient tourner d’après le modèle actuel de la physique. Certains théoriciens proposent de nouveaux champs de réflexion qui vont au-delà du modèle standard pour expliquer la matière noire par exemple la théorie de la super symétrie. Nous n’avons pas encore tout exploré et nous sommes peut-être arriver à certaines limites donc un nouvel accélérateur pourrait permettre d’aller plus loin.

LTDN: Au-delà de la matière noire, quels sont les autres grands thèmes sur lesquels travaille le CERN ?

AM: Le boson de Higgs n’est pas n’importe quelle particule. Sa découverte permet de compléter la théorie du modèle standard qui décrit toutes les particules élémentaires.  Grâce au champ de Higgs, cette particule permet de donner aux autres particules une masse. Il s’agit donc d’une clé pour aller plus loin dans la compréhension. Cependant, il y a beaucoup de mystères, notamment la matière noire. Lorsque nous observons l’univers, nous n’en voyons qu’une toute petite partie. Nous savons que la matière noire existe car nous sommes capables de voir certaines de ses manifestations, notamment gravitationnelles. Par exemple, les galaxies ne tournent pas à la vitesse à laquelle elles devraient tourner d’après le modèle actuel de la physique. Certains théoriciens proposent de nouveaux champs de réflexion qui vont au-delà du modèle standard pour expliquer la matière noire par exemple la théorie de la super symétrie. Nous n’avons pas encore tout exploré et nous sommes peut-être arriver à certaines limites donc un nouvel accélérateur pourrait permettre d’aller plus loin.

Il y a toutes les questions autour de la gravité qui accompagnent les réflexions autour de la matière noire. Et nous avons aussi envie d’affiner notre compréhension des interactions entre les particules et le boson de Higgs. Nous avions imaginé que cette particule pouvait exister mais sa découverte ouvre la porte à de nouvelles recherches. Cela fait 12 ans maintenant que nous l’avons découverte. Mais en réalité nous l’avons simplement entraperçue, comme sur une photo un peu floue, et il faut continuer de l’étudier pour rendre cette photo nette. D’ici 3 ans, nous allons démarrer le LHC à haute luminosité, qui va permettre d’augmenter par un facteur de 7 à 10 le nombre de de collisions ce qui augmente la probabilité de voir de nouvelles choses.

LTDN: Comment s’inscrit le travail du CERN dans les enjeux contemporains (crise climatique par exemple) ? Les découvertes peuvent-elles être appliquées directement à la vie civile ?

AM: Nous sommes les seuls à fabriquer certaines infrastructures complexes, car nous faisons un type de recherche qui est unique au monde et qui nous force à être créatifs. Ces technologies peuvent être utilisées ailleurs. Notre équipe de transfert de technologies est en lien avec la société civile et avec l’industrie. Les aimants, les technologies du vide, certains lasers, tout ce qui porte sur les radiations, l’informatique sont des exemples de ces technologies « transférables ». Pour les besoins de la recherche, le WEB a été inventé au CERN, pour partager les recherches et les données, ce que tout le monde fait aujourd’hui avec son téléphone portable.

Concernant le climat, un des objets de recherche qui sont importants en recherche et développement est la supraconductivité des aimants. Pour faire fonctionner notre accélérateur aujourd’hui on utilise la cryogénie : la machine fonctionne presque au zéro absolu et cela demande beaucoup d’énergie. Il faut injecter des courants très forts dans les animaux et cette température permet supraconductivité (l’absence de résistance dans les aimants). Cela permet d’affiner les câbles, sans avoir perte d’énergie. Pour construire un accélérateur plus grand et plus efficace en termes de dépenses énergétiques la rupture technologique dont on rêve serait des aimants supraconducteurs à une température plus élevée.  Il y a probablement d’autres groupes dans le monde qui travaillent aussi sur ça. En effet, l’industrie des start-ups proposent souvent des technologies de rupture car elles investissent beaucoup dans la recherche. Mais pour les aimants supraconducteurs, il s’agit de recherches très pointues et il n’y a probablement que nous qui soyons capables de le faire. Si nous arrivons à les développer, ce sera révolutionnaire pour la société. Cela ne résoudra pas l’entièreté du problème climatique mais il est indéniable que la demande en énergie augmente malgré le fait que nous essayons de limiter nos dépenses.

LTDN: Qu’est-ce que le FCC apporterait de plus à la version améliorée du LHC ?

AM: Si nous n’arrivons toujours pas à comprendre la matière noire avec le LHC amélioré, le FCC (Futur collisionneur circulaire) pourrait nous le permettre. Quand nous regardons l’univers, nous savons que nous n’en comprenons que 5%. Il y a donc quelque chose de fondamental que nous n’avons pas compris. Ce que nous faisons en recherche fondamentale réunit des gens du monde entier car ces recherches sont au bénéfice de l’humanité. Nous sommes humains, nous avons besoin de comprendre et d’avancer dans la connaissance. Peut-être que les 95% de l’univers que nous réussirons à comprendre seront révolutionnaires et changeront notre vision du monde. Le fait que le projet du FCC soit aussi grand permet différentes choses. Il nous permettrait de faire des expériences du même type que celles que nous faisions avant. Avant le collisionneur de hadrons, nous avions le LEP, qui est dans le même tunnel, qui permettait d’accélérer des électrons. Les protons que nous accélérons aujourd’hui sont 2000 fois plus lourds que les électrons. Le FCC ferait 91 km et dans un premier temps, il permettrait d’accélérer des électrons et des positrons. Les électrons sont des particules élémentaires contrairement aux protons. Les germes issus de collision entre petites particules sont plus « propres » que celles entre particules lourdes.

Donc, s’il y a quelque chose à voir, ce sera plus simple de le détecter. Les collisions entre protons dans le LHC conduisent à beaucoup de « bruit », il faut donc trier les données qui ressortent des détecteurs. Même si l’informatique nous aide, il serait plus simple de traiter des données avec moins de bruit. L’avantage des collisions de protons réside dans le fait que nous pouvons atteindre de très hautes énergies, ce qui nous permet de découvrir des particules plus lourdes. Les deux aspects essentiels d’une éventuelle prochaine machine sont la précision qui permet d’affiner la compréhension des particules et de découvrir de nouveaux phénomènes, et l’énergie qui permet d’accéder à un monde de particules auquel nous n’avons pas encore accès. Les seules particules à haute énergie que nous pouvons trouver hors de nos laboratoires sont des particules cosmiques issus de trous noirs ou du soleil par exemple mais il est difficile de les traiter car elles sont beaucoup moins nombreuses que celles que l’on crée dans les accélérateurs. Avec les technologies dont on dispose, pour atteindre la précision et l’énergie, nous ne savons pas faire autre chose que de créer des accélérateurs plus grands. Nous travaillons sur des concepts pour le futur, avec des techniques d’accélération plus performantes (expérience AWAKE qui travaille sur du plasma) mais elles sont encore à l’échelle embryonnaire. Bien sûr, nous arrivons aux limites du concept d’accélérateur circulaire, il faudra inventer d’autres choses, sauf si nous arrivons à développer une technologie de rupture sur les aimants.

LTDN: La Chine prévoit, elle aussi, de construire un accélérateur à particules (CEPC) de 100 km. Ce projet pourrait-il remettre en cause la place de leader du CERN, et donc de l’Europe, dans le domaine de la physique fondamentale ?

AM: Le boson de Higgs n’est pas n’importe quelle particule. Sa découverte permet de compléter la théorie du modèle standard qui décrit toutes les particules élémentaires.  Grâce au champ de Higgs, cette particule permet de donner aux autres particules une masse. Il s’agit donc d’une clé pour aller plus loin dans la compréhension. Cependant, il y a beaucoup de mystères, notamment la matière noire. Lorsque nous observons l’univers, nous n’en voyons qu’une toute petite partie. Nous savons que la matière noire existe car nous sommes capables de voir certaines de ses manifestations, notamment gravitationnelles. Par exemple, les galaxies ne tournent pas à la vitesse à laquelle elles devraient tourner d’après le modèle actuel de la physique. Certains théoriciens proposent de nouveaux champs de réflexion qui vont au-delà du modèle standard pour expliquer la matière noire par exemple la théorie de la super symétrie. Nous n’avons pas encore tout exploré et nous sommes peut-être arriver à certaines limites donc un nouvel accélérateur pourrait permettre d’aller plus loin.

Il est encore tôt pour répondre, car les deux projets sont encore peu développés. Ce que ce projet dit aujourd’hui, c’est qu’il y a un intérêt réel à construire ce type de machine. La communauté mondiale de la physique s’est beaucoup réunie, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie, pour comprendre les conséquences de la découverte du Boson de Higgs. Il devient un outil pour continuer l’exploration et nous ne le connaissons pas encore très bien. La priorité absolue du monde entier, quel que soit le continent, est de faire une « usine » à Boson de Higgs. Si plusieurs continents décident de participer à cette aventure, le leadership pourrait basculer, et ce n’est pas ce que nous souhaitons. Nous pensons que le CERN a une expérience, une expertise, et une infrastructure importante. Avant que les particules n’entrent dans le LHC, elles sont déjà accélérées par les chaînes d’accélération en amont. Dans les années 80 aux États-Unis, il y avait un grand projet d’accélérateur de 80 km je crois. Ils avaient commencé à le construire et cela avait couté plusieurs milliards de dollars. Après quelques années, ils ont tout arrêté. L’une des explications, au-delà des défis technologiques, est que construire une telle infrastructure hors sol au milieu de nulle part n’est pas la solution la plus pertinente, ni la plus durable. En Europe, nous investissons dans des infrastructures depuis 70 ans, dans des machines, dans des ateliers. Il y a également toutes les lignes d’électricité qui arrivent déjà là, il n’y a donc pas besoin de fournir de nouveaux investissements. Le succès du CERN réside justement dans l’augmentation progressive de la taille des accélérateurs. Il y a surement une limite à cet agrandissement et le FCC sera sans doute la dernière étape, mais l’histoire nous a prouvé qu’en s’appuyant sur ce que nous avons fait, nous sommes arrivés à découvrir de nouvelles choses.

LTDN: Le président du Conseil, lors de sa visite en Chine, a souligné les similitudes entre le projet du FCC du CERN et le CEPC chinois. La Chine a-t-elle puisé son savoir-faire dans celui des Européens ?

AM: Il ne peut pas y avoir d’espionnage industriel du fait de la constitution du CERN. Il faut revenir à son histoire. Le CERN a été construit à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, avec pour but de rassembler les européens pour faire un grand laboratoire de physique nucléaire. Il y a eu un grand boom de la physique fondamentale au début de XXe siècle puis il y eut deux guerres mondiales qui ont paralysé tout en Europe. Il fallait fédérer les forces autour de ces questions de physique fondamentale. Par constitution, le CERN a été voulu comme un laboratoire de paix et où tout ce qui est fait et discuté est accessible à tout le monde. Nous ne pouvons donc pas parler d’espionnage industriel ; les plans du FCC tels qu’on les imagine peuvent être trouvés sur les sites des conférences et sur le site du CERN, rien n’est secret. Si des visiteurs viennent, ils peuvent prendre des photos partout. Par nature, la physique des particules a toujours été très mondiale. Il y a 110 nationalités au CERN, il y a toujours eu des collaborations très fortes avec les Américains et les Japonais, mais aussi avec les Chinois.

Le concept de collaboration s’est toujours accompagné de compétitions. Quand il y a eu la construction du LHC, les Américains espéraient toujours découvrir le Boson de Higgs avant nous et cela faisait l’objet d’articles qui encourageaient le suspens de la compétition.

LTDN: Fn 2022, le Conseil du CERN a décidé de mettre fin à sa collaboration avec la Russie et la Biélorussie. Certains scientifiques critiquent cette décision, considérant la recherche scientifique comme une manière de tisser des liens entre États au-delà des conflits politiques. Comment expliquez-vous ce ban politique ?

AM: L’idée de partage de la science et d’aller au-delà des conflits est effectivement importante dans la conception du CERN. La science est un facteur d’unité. C’est vrai, il a beaucoup été dit que pendant la guerre Froide, le CERN était un endroit dans lequel les chercheurs pouvaient encore échanger et se retrouver. Ça ne veut pas dire que cela était simple. Mais on ne peut pas ignorer les troubles du monde. C’est sûr que le CERN est un îlot de paix et un endroit unique dans lequel il y a beaucoup de nationalités différentes qui se mélangent, y compris des ennemis qui travaillent ensemble sur des projets scientifiques, mais nous ne sommes pas isolés du monde.

Lorsqu’il y a des troubles mondiaux, nous sommes affectés. Espérons que l’avenir sera meilleur. Dans l’immédiat, il s’agit d’une décision des États membres. Les sanctions qui ont été mises en place indépendamment du CERN, interdiction de transporter du matériel, de faire voyager des chercheurs, auraient de toute façon compliquées le travail commun. Le CERN a affirmé une décision claire pour se détacher de la Russie. Je ne pense pas que la perte de savoir-faire russe impacte le travail du CERN puisqu’on a 110 nationalités qui travaillent sur nos expériences. On ne peut pas ignorer que la collaboration avec la Russie a été fructueuse et longue, mais nous trouverons des solutions et nous sommes capables, malheureusement, de continuer sans la Russie. 

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