Les défis géopolitiques qu’impose le « New Space »

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By Juliette Bouchet

L’espace apparaît désormais comme le lieu de toutes les convoitises, en particulier pour les armées et les alliances militaires. La France occupe un rôle de précurseur dans cette course technologique comme en témoigne la publication en 2019 de sa Stratégie Spatiale de défense. Par ailleurs, le lancement de la fusée Ariane 6 le 9 juillet dernier permet à l’Europe de s’affirmer de nouveau comme un acteur incontournable du monde spatial.

L’Europe semble ne pas avoir reconnu à temps les conséquences du bouleversement lié à l’apparition du New Space. Cette nouvelle manière de concevoir l’industrie spatiale se caractérise tout d’abord par une prise de risque accrue et par une ingénierie financière inédite comme le montre l’entreprise SpaceX d’Elon Musk. L’arrivée d’internet, des nouvelles technologies de l’information, et la multiplication des grands acteurs du numérique américains, les GAFAM, ont favorisé l’utilisation commerciale de l’espace. Progressivement, le monde spatial, qui semblait jusqu’aux années 2000 réservé aux domaines régaliens et aux investissements longs, a de plus en plus été utilisé par des acteurs privés à des fins marchands et semble de plus en plus accessible.

Elon Musk a réussi son pari : créer des lanceurs réutilisables, faire chuter les coûts de production des engins spatiaux et assumer une cadence de lancements jamais atteinte auparavant. L’Europe n’a pas su rester compétitive face à cette nouvelle façon de produire. La conception d’Ariane 6 a pris un retard de quatre ans ce qui s’est traduit par une perte d’autonomie stratégique grave pour l’Europe. Du 23 juillet 2023 au 9 juillet 2024, l’Europe a été entièrement dépendante d’agences spatiales étrangères pour lancer ses satellites.

L’espace est le nouveau terrain des conflits armés dans la guerre froide actuelle. Environ une heure avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, le satellite commercial américain KA-SAT a subi une cyberattaque russe. On observe donc une possible utilisation détournée des systèmes spatiaux commerciaux civils au profit d’acteurs militaires. Bien que des armes antisatellites aient été développées dès 1960, elles constituaient surtout une forme de dissuasion. Dans les années 1970, les Etats-Unis commencent à développer une stratégie spatiale publique, encouragée plus tard par la commission Rumsfeld de 2001 qui évoquait déjà un potentiel « Pearl Harbor spatial ». En 2007, la Chine teste pour la première fois des armes anti-missiles destructives, et est quelques années plus tard suivie par l’Inde et la Russie. En 2019, les puissances américaine et française annoncent respectivement la création de la Space Force et du Commandement de l’espace, branches militaires dédiées exclusivement aux conflits spatiaux.

En 2019, le ministère des Armées français publie sa Stratégie Spatiale de défense qui reconnaît l’espace exo-atmosphérique comme le cinquième domaine d’actions militaires. Le texte témoigne de l’analyse fine et complète faite par la France des défis militaires et technologiques qu’impose le New Space. Tout d’abord, le texte évoque un certain nombre de menaces (cybernétiques, par brouillage électromagnétique, ou encore les potentiels risques d’amarrage), et développe ensuite sa stratégie pour construire une autonomie stratégique forte avec comme objectifs principaux de protéger ses satellites et de défendre ses intérêts. Pour cela, la France reconnaît l’importance du soutien aux opérations spatiales militaires (OSM) et de la connaissance de la situation spatiale (Space Situation Awareness, SSA), grâce à la surveillance et à l’élaboration de la situation en direct permises par les radars français GRAVES.

La base industrielle et technologique de défense (BITD) est à consolider en développant les deux secteurs principaux : les lanceurs et les satellites. Pour illustrer les ambitions technologiques françaises on peut par exemple citer le développement de satellites patrouilleurs-guetteurs YODA, d’un laser destructif en orbite (FLAMHE) ou encore d’un laser au sol (BLOOMLASE) qui permettrait d’aveugler des satellites d’observation. Ces développements font partie des projets spatiaux financés à hauteur de 6 milliards d’euros par la Loi de programmation militaire (LPM) de 2023-2030.

“Si l’espace a été une nouvelle frontière à franchir, c’est désormais un « nouveau front » que nous devons défendre.” Florence Parly, ancienne ministre de la Défense française

Crédit photo: SpaceX

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