Par Sébastien Boussois *
Quelques jours avant son investiture le 20 janvier dernier à la Maison Blanche, Donald Trump pestait auprès de ses proches conseillers contre Benjamin Netanyahou en lâchant furieux à l’un d’eux : « Il est hors de question que ce (…) de Netanyahou gâche ma cérémonie ! ». Après des mois et des mois d’impasse du côté des démocrates, il ne restait en effet plus que quelques petits jours pour parvenir à faire libérer les premiers otages israéliens depuis 13 mois (déjà sous l’égide du Qatar), et décrocher un premier succès diplomatique pour la nouvelle administration républicaine. Et montrer qu’il était le « meilleur » !

Alors qu’il avait promis de régler la guerre en Ukraine et à Gaza en peu de temps, Trump et l’équipe de transition avaient déjà pris les devants depuis novembre dernier en menant des opérations de négociations conjointes avec les conseillers de Biden pour obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages israéliens à Gaza avant sa prise de fonctions. La tâche n’était pas simple et Trump le savait. Et le rêve de décrocher deux cessez-le-feu avant sa prise de poste s’est vite dissipé. En effet, l’opération entre la Russie et l’Ukraine s’étant révélée plus complexe que prévu, de la faute du président Poutine selon Trump, ce dernier décide alors de tout miser sur le dossier entre Israël et les Palestiniens. Il fallait au moins arracher un accord pour avoir quelque chose de fort et tangible à apporter le jour J à l’opinion internationale et montrer que le « bulldozer » politique était de retour et que tout n’était pas que discours et poésie. Il fallait trancher dans le vif avec la mollesse des démocrates.
L’art du « deal », c’est son obsession. Et il le fait avec ses ennemis comme avec ses amis. Une fois encore, pendant que beaucoup d’experts et spécialistes nous expliquaient en Europe, que le 47è Président des Etats-Unis était comme cul et chemise avec le chef du Kremlin et le premier ministre israélien, il est apparu que Donald Trump n’avait finalement pas tout pouvoir omniscient sur les deux personnages. Il est apparu surtout comme une vérité révélée au monde, qu’il ne laisserait pas non plus tout passer à ses sois disant « amis ». Poutine résistant sur la création d’une force d’interposition internationale pilotée par les Européens sur le sol ukrainien pour maintenir la « paix » en cas d’accord signé entre la Russie et l’Ukraine, c’était au tour de Netanyahou de faire traîner les choses comme le Hamas l’avait fait pendant des semaines, avant de conclure un accord au plus vite avant le jour de l’investiture. L’inquiétude gagnait les rangs des proches de Trump.
Netanyahou savait qu’il avait gros à perdre à faire des compromis, à commencer par le pouvoir. Il en avait fait les frais en 1996. Mais l’envoyé spécial de Trump, Steven Wittcoff, investisseur immobilier de son état propulsé envoyé spécial du Président pour le Moyen-Orient, téléguidé par son maître, a finalement réussi le coup de poker que n’a jamais pu faire Biden. Malgré 15 mois de discussions, de propositions, de voyages d’Anthony Blinken au Moyen-Orient, il manquait à l’ancien Président assurément quelque chose qu’à Trump : le culot. Ce que les Israéliens appellent la chutzpah, l’audace. Le milliardaire a appliqué ce qu’il sait faire de mieux : la pression maximale pour faire plier en définitive Benjamin Netanyahou. Le premier Ministre ne pouvait prendre le risque de sauter sous un démocrate américain qui partait, mais il pouvait espérer avoir des garanties fortes du futur président républicain que ne pouvait plus lui offrir l’ancienne administration.
Finalement, les trois premières otages sont sorties de Gaza le 19 janvier dernier, la veille de l’investiture. L’évènement a été couvert par les médias internationaux, restés prudents, car il ne s’agissait évidemment pas d’un accord de paix. Mais restés prudents aussi sur a qui attribuer cette réussite diplomatique forte. Pendant que Joe Biden vivait ses derniers feux, annonçant fièrement cette libération et s’attribuait une partie large du succès, Trump tirait la couette de son côté et annonçant sur son réseau social, que tout le mérite revenait à ses conseillers et en particulier à Steven Witkoff. Maintenant, rien n’est gagné, et désormais toute la réussite de la trêve en cours, ou son échec, repose sur les seules épaules de Trump. Or, la trêve est fragile et très étalée dans le temps, l’ennemi numéro un au Moyen-Orient. Tout peut à nouveau capoter pour les libérations prévues sur plusieurs semaines. Puis viendra le moment crucial où il faudra prendre des décisions qui satisferont tout le monde sur des dossiers lourds de conséquences : le retour des déplacés, le départ de l’armée israélienne, le sort du Hamas loin d’être décimé, l’administration future de Gaza, l’Etat palestinien. Sur ce dernier point, le Président américain a été clair depuis le début : rien sous son mandat. Mais au Moyen-Orient, cela fait des décennies que rien n’est définitif, la paix comme la guerre. En attendant, ce que peut réussir de mieux Trump c’est de revenir à la recette politique qui marche le moins mal sur place : le statu quo. Donner des gages à Israël, contenir les Palestiniens, et permettre un retour à la routine quotidienne sans bouleverser la situation. Ce serait le moindre mal après plus d’un an de guerre meurtrière des deux côtés. Rien de plus.
*Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).