Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, les dépenses militaires mondiales ont connu en 2024 une envolée sans précédent, atteignant 2 718 milliards de dollars. Cette hausse de 9,4 % en un an, révélée par le SIPRI, reflète un monde fracturé, sous l’effet combiné de conflits actifs, de rivalités stratégiques et d’un réarmement accéléré en Europe, au Moyen-Orient et en Asie-Pacifique.
Le constat est sans appel : la planète consacre toujours davantage de ressources à la puissance militaire. Selon les dernières données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont augmenté pour la dixième année consécutive, culminant à 2 718 milliards de dollars en 2024, soit 2,5 % du PIB mondial. Cette progression, la plus forte enregistrée en une année depuis au moins 1988, marque une accélération inquiétante d’une dynamique de militarisation globale.
Au cœur de cette flambée, l’Europe ressort comme l’un des principaux foyers de réarmement. Avec une hausse de 17 %, ses dépenses atteignent 693 milliards de dollars, dopées par la guerre en Ukraine et la multiplication des programmes de défense. L’Allemagne, désormais quatrième plus grand dépensier mondial, a vu son budget militaire croître de 28 % en un an, alimenté par un fonds spécial de 100 milliards d’euros. La Pologne, avec une hausse de 31 %, consacre désormais 4,2 % de son PIB à sa défense, dépassant largement les objectifs fixés par l’OTAN.
La guerre en Ukraine continue de redessiner l’architecture sécuritaire européenne. En 2024, la Russie a consacré 149 milliards de dollars à ses forces armées, soit 7,1 % de son PIB et près de 20 % de ses dépenses publiques, tandis que l’Ukraine, malgré un budget militaire représentant 34 % de son PIB, peine à suivre la cadence. Ses 64,7 milliards de dollars de dépenses, bien qu’en légère hausse, sont en grande partie couverts par l’aide étrangère, notamment américaine et allemande. Si l’on incluait l’ensemble de cette assistance, le budget militaire ukrainien atteindrait 125 milliards, le classant quatrième au monde.
Au Moyen-Orient, la situation est tout aussi explosive. L’État d’Israël, engagé sur plusieurs fronts (Gaza, Liban Sud), a accru ses dépenses de 65 %, atteignant 46,5 milliards de dollars – soit 8,8 % de son PIB, un record depuis 1967. Le Liban, en dépit d’une crise économique profonde, a aussi fait un bond de 58 % de son budget militaire, illustrant une dynamique régionale de militarisation asymétrique. En contraste, l’Iran a vu ses dépenses reculer de 10 %, conséquence directe des sanctions économiques et de la pression inflationniste.
De son côté, l’Asie-Pacifique, et plus particulièrement la Chine, poursuit une militarisation méthodique. Pékin a alloué 314 milliards de dollars à son armée, en hausse de 7 %, consolidant trois décennies d’augmentation continue. Ce réarmement, destiné à moderniser les capacités conventionnelles, nucléaires et cybernétiques, pousse ses voisins à réagir : le Japon a accru ses dépenses de 21 % – un record depuis 1952 – tandis que Taïwan, sous tension constante, a augmenté les siennes de 1,8 %.
L’alliance atlantique n’est pas en reste : les 32 membres de l’OTAN ont ensemble dépensé 1 506 milliards de dollars en 2024, soit 55 % du total mondial. Dix-huit d’entre eux ont franchi le seuil symbolique des 2 % de leur PIB, contre 11 l’année précédente. Si les États-Unis dominent toujours (997 milliards, soit 37 % du total mondial), c’est bien en Europe que l’effort de réarmement s’intensifie, motivé par la crainte d’un désengagement stratégique américain.
Les conséquences économiques et sociales de cette course aux armements commencent à se faire sentir. Plusieurs pays, comme le Royaume-Uni, la France ou l’Estonie, réorientent des budgets sociaux ou creusent leur déficit pour financer l’effort militaire. Le SIPRI met en garde : cette priorisation de la défense pourrait, à terme, fragiliser les équilibres économiques internes et aggraver les inégalités sociales, tout en entretenant une instabilité géopolitique croissante.
Avec des conflits actifs, des tensions interétatiques persistantes et des alliances sous pression, la trajectoire actuelle des dépenses militaires mondiales semble marquer un tournant historique. Loin d’un simple ajustement conjoncturel, c’est un nouvel âge du militarisme global qui s’installe – avec tous les risques qu’il comporte.
Source: rapport du SIPRI