La faillite immobilière chinoise : nouvelle crise de légitimité pour le PCC

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By Alain Jourdan

Lundi 28 août dernier, Evergrande, l’ex-géant immobilier chinois faisait son grand retour en bourse. Un retour catastrophique. Après 17 mois de suspension pour non-publication de ses résultats financiers, l’action du promoteur chinois ultra-endetté inscrit une chute de 87% de sa cotation. À la mi-journée de ce même 28 août, le promoteur immobilier voyait sa valeur de marché tomber à environ 590 millions de dollars. À son apogée, le groupe avait atteint les 50 milliards de valeur de marché, c’était en 2017.

Visuel d’un effondrement économique spectaculaire, le destin d’Evergrande n’est en réalité qu’une illustration parmi tant d’autres du grand mal chinois contemporain : la crise de l’immobilier. 

Alors que le domaine de la construction immobilière représentait, jusqu’alors, plus de 30% de son économie, touché par l’effet Covid-19, un contexte mondial en récession, c’est le secteur de l’économie chinoise dans son entièreté qui menace aujourd’hui de s’écrouler sous les yeux d’un régime politique qui risque gros.

Evergrande : l’effondrement de Hengda

« Grand pour toujours », c’est la traduction littérale de « Hengda », nom chinois du promoteur immobilier Evergrande. Créé en 1997 par un self-made-man, le groupe va connaître une ascension fulgurante.

Profitant de la croissance à deux chiffres de la Chine pendant les années 2000, Evergrande group s’est empressé de diversifier ses activités au niveau du tourisme, des véhicules électriques ainsi que des panneaux solaires.  Encouragé par un contexte chinois , le groupe a multiplié les programmes de développement immobilier, les ventes d’appartement et ce, même avant leurs constructions. Le conglomérat chinois paie actuellement cette folie des grandeurs.

Mis en difficulté depuis plus de deux ans, l’ex-n°1 de l’immobilier chinois, laisse des chantiers entiers à l’abandon. Dans l’incapacité de payer ses sous-traitants, l’empire fait face à la multiplication de procédures en justice. Des manifestations organisées par des futurs propriétaires ont eu lieu dans plusieurs provinces. Ces derniers ne peuvent toujours pas emménager dans les logements qui leur ont été promis. 

L’empire immobilier chinois endetté soumettra une requête le 18 août dernier pour bénéficier de la protection du chapitre 15.

Une bombe à retardement : l’immobilier chinois ou l’histoire d’une bulle spéculative

Les instances chinoises continuent toujours de viser 5 % de croissance annuelle en 2023 et ce, malgré la récession économique mondiale. Avec un taux de chômage en constante augmentation et des exportations en baisse, la Chine aimerait s’appuyer sur son secteur immobilier. Cet appui lui permettrait de booster ses chiffres d’affaires. 

L’immobilier chinois a en effet été pendant longtemps un moteur incontournable de la croissance du pays représentant ainsi un tiers du PIB chinois. À titre comparatif, le secteur immobilier français représente seulement 11%. Aux États-Unis, celui-ci n’excède pas les 17%. 

Aujourd’hui la Chine ne pourra compter sur son secteur « fétiche ». Les économistes avaient annoncé cette situation mais les autorités chinoises n’ont pas voulu la prendre en compte. Face à ce déni, la bulle immobilière chinoise a explosé et l’immobilier chinois s’est écroulé. Pourtant, l’immobilier n’avait pas connu de crise. 

Décryptage de la crise immobilière ? 

Pour comprendre la crise immobilière chinoise, il faut revenir en arrière.  

Le secteur immobilier en Chine a connu une croissance fulgurante depuis sa libéralisation en 1998. Dans un pays où les prêts sont encouragés et où l’acquisition d’un bien est symbole de réussite sociale ; la construction immobilière semblait être le parti commercial idéal.

Seulement, face à la multiplication des entreprises immobilières, les autorités chinoises comprennent vite qu’il faut ralentir la cadence. La banque centrale et le ministère du logement chinois vont alors fixer trois lignes rouges aux promoteurs : un rapport entre le passif (hors recettes anticipées) et l’actif supérieur à 70 %, un rapport entre la dette nette et les fonds propres supérieur à 100 %, et un rapport entre la trésorerie et la dette à court terme inférieur à 100 %. 

Ce revirement de la politique économique complexifiera l’accès au crédit par les constructeurs. Ainsi, tandis que la demande en biens immobiliers piquait du nez, sur fond de ralentissement économique et de déclin démographique, une grande partie des promoteurs immobiliers chinois mettront la clé sous la porte.

Le ralentissement économique chinois, le cauchemar éveillé du PCC

La crise immobilière chinoise est aussi doublée d’une crise sociale qui risque d’avoir un impact sur le pouvoir politique. De toutes les formes de déstabilisations que la Chine a pu connaître, la faillite de son principal secteur économique pourrait engendrer une chute du pouvoir. C’est littéralement tout l’univers des classes moyennes chinoises qui s’écroule…

En effet, jusqu’en 2021 la Chine avait répandu l’image de vastes constructions, de chantiers immenses, ainsi que de logements « tout prêts », qui n’attendaient que les investisseurs. Seulement deux ans plus tard, les ménages chinois dont le patrimoine a été investi aux trois quarts dans l’immobilier, ont vu leur fortune fondre d’un tiers en quelques mois. Les ménages chinois n’ont plus confiance en leurs investisseurs. 

En effet, en dehors de la dimension stricte de la crise de l’immobilier, c’est dans un contexte plus systémique que la crise se déroule. Il s’agit avant tout de la remise en cause de la relation de confiance entre le Parti communiste et la population. Car même dans un régime autoritaire comme celui de l’Empire du Milieu, il existe un pacte social qui est basé sur la confiance. S’il a indéniablement toujours les moyens d’imposer sa loi par la force, le consentement social a quant à lui été le moteur du décollage économique chinois.

Seulement le ralentissement économique risque d’alerter la population sur la défaillance de la planification économique de ses dirigeants mettant ainsi en péril le PCC. 

La qualité de vie des chinois n’a cessé de se dégrader depuis ces dernières années. La consommation intérieure est artificiellement dopée et les exportations restent le moteur de l’économie chinoise.

Si les autorités chinoises restent pour l’instant muettes sur un éventuel plan de relance, ce bouleversement de la mécanique économique met gravement en danger l’équilibre politique et social chinois. Il pose en réalité sérieusement la question d’une fuite en avant d’une politique d’avantage nationaliste.Alors que la relation sino-taïwanaise traverse une année compliquée, on s’interroge sur une potentielle accentuation de l’hostilité chinoise à l’égard du dossier taïwanais. On le sait, la fermeté sur les questions d’unité nationale est régulièrement utilisée comme argument de légitimité par le PCC. Reste à savoir si Xi Jinping, aussi, ressortira cette recette du placard.

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