Chute de Bachar al-Assad : victoire des printemps arabes ou désillusion syrienne ?

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By OGG

Par Lyna HAMANI, stagiaire au sein de l’Observatoire Géostratégique de Genève

La nuit du 7 au 8 décembre 2024 sera consacré dans l’histoire de la Syrie, comme étant la fin du régime baasiste. Renversé par une offensive menée par le groupe rebelle armé Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et son homme fort, Abou al-Joulani, le régime en place depuis 1967 fut neutralisé en moins de 10 jours seulement.  

Cette destitution brutale de Bachar al-Assad, fait suite à de nombreuses années de guerre civil, et de domination d’un système brutal et ultrasécuritaire. Ce dernier basait sa survit sur la violence et la répression des opposants politiques ainsi que des mouvements populaires contestataire.  Bachar el-Assad était alors l’un des derniers dirigeant politique arabe à survivre aux printemps arabes, ce pourquoi, beaucoup perçurent sa chute comme l’ultime aboutissement de cette vague révolutionnaire. Malgré tout, le bilan demeure aujourd’hui mitigé, tant l’avenir de la Syrie paraît incertain.

Les printemps arabes, révélateur d’un malaise sociétal arabe

Les printemps arabes, puisent leurs sources dans la détresse d’un acte, celui de Mohammed Bouazizi. Ce marchand tunisien de 26ans s’était immolé devant la préfecture de Sidi bouzid, après s’être fait confisquer sa marchandise pour la énième fois. Cet acte déclenchera des vagues de manifestations en Tunisie, et laissera exploser la colère sociale du peuple, qui réclamera la destitution de Ben Ali. Le 14 janvier 2011, le président tunisien est forcé de quitter la Tunisie pour l’Arabie saoudite. Le régime est tombé, et la Tunisie devient alors un exemple pour les autres populations arabes. Le mouvement gagne l’Égypte, Libye, Yémen, Bahreïn, Maroc, Algérie, Jordanie, Oman, Arabie saoudite et la Syrie. Malheureusement le résultat n’est pas le même, et dans certains pays les manifestations seront réprimées à une telle intensité que la situation géopolitique du pays basculera, comme ce fut le cas pour la Syrie.

En Syrie Bachar el Assad au pouvoir depuis 2000, réprimera ces manifestations par le sang et provoquera une guerre civile qui fera plus de 500 000 morts. Celle-ci impliquera une multitude d’acteurs non-conventionnel, notamment diverses forces jihadistes, dont l’organisation État islamique. Pendant toute cette période, el Assad réussira à se maintenir au pouvoir, imperturbable notamment grâce au soutien de la Russie et de l’Iran.  

Selon le diplomate et docteur en géographie Farid Jeanbart, la chute du régime résulte principalement de sa fragilité interne : armée affaiblie, corruption, absence de réformes et incapacité à anticiper la crise. À cela s’ajoute le recul du soutien extérieur, notamment de la Russie et de l’Iran, et la montée d’une opposition armée structurée qui a su exploiter ces faiblesses. C’est la combinaison de ces facteurs internes et externes qui a conduit à la chute du régime.

Mais, malgré l’euphorie qui saisissait une partie de la population syrienne, les résultats sont restés contrastés.  

Une quête d’unité nationale encore lointaine

L’arrivée au pouvoir du président par intérim Ahmad al-Charaa, ancien chef de Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), le 29 janvier 2025, soulève de nouvelles problématiques auxquelles doit désormais faire face la « nouvelle Syrie ». En effet, face à un gouvernement à majorité sunnite, la question des minorités et du respect de leurs droits s’est rapidement posée.

La Syrie se caractérise par une mosaïque confessionnelle très variée, rendant sa cohésion nationale particulièrement complexe. Selon une étude du Minority Rights Group (2015), les Kurdes constituent entre 8 % et 15 % de la population syrienne ; d’après une note de l’OFPRA (2016), les chrétiens représentent entre 8 % et 10 % de la population totale, tandis qu’environ 1 % serait chiite ismaélien et 8 à 15 % alaouite. La communauté druze, quant à elle, compterait entre 500 000 et 700 000 membres.

Les tensions confessionnelles se sont notamment illustrées à travers une série d’affrontements survenus à Soueida entre Druzes et Bédouins, en avril puis en juillet derniers, faisant plus de 1 300 morts. La région de Soueida est au cœur des débats, certains souhaitant une autonomie accrue, voire une indépendance, revendications portées notamment par le cheikh Hikmat al-Hijri, figure d’opposition de plus en plus influente face à l’État central syrien. Ces revendications s’expliqueraient par les discriminations persistantes dont se disent victimes les Druzes en tant que minorité, dans un pays composé à plus de 74 % de sunnites.

Cette situation rend encore plus difficile la reconstruction sociale et économique du pays pour le président par intérim Ahmad al-Charaa, qui déclarait en août dernier, à la suite des combats meurtriers à Soueida, que « l’unification de la Syrie ne doit pas se faire par la force militaire », rappelant ainsi les années de guerre civile et de division profonde vécues sous le régime d’Assad.

Une Syrie en proie aux ingérences étrangères

L’indépendance de la Syrie n’est pas complète. En raison de son instabilité politique et sécuritaire, le pays reste vulnérable aux ingérences étrangères de puissances qui profitent de cette période de transition pour exercer leur influence et contrôler certaines portions de son territoire.

La question du plateau du Golan, revendiqué par Israël, illustre l’une des ingérences les plus anciennes subies par la Syrie, récemment ravivée par les affrontements impliquant la communauté druze. Le prétexte de la protection des Druzes, présents en majorité sur le plateau, constitue en réalité une manœuvre stratégique : la région est non seulement riche en ressources, mais elle revêt également une dimension symbolique et biblique, comme l’ont montré les récentes déclarations de Benjamin Netanyahou, qui encouragent la colonisation et la consolidation de la présence israélienne sur ce territoire.

 Un bilan Syrien contrasté qui se fait l’écho d’une pathologie chronique arabe

Le bilan de la finalité des printemps arabes pour la Syrie reste relatif. Si la chute de Bachar el-Assad semblait redonner un souffle d’espoir pour la mise en place d’un système bénéfique pour les Syriens, l’État, dans ses institutions, ses valeurs et sa population, a été entraîné dans une fermeture démocratique telle qu’il faudrait une réforme en profondeur pour pouvoir répondre aux aspirations populaires. Ce problème est le syndrome chronique de nombreux pays arabes qui ne sont pas parvenus à faire des printemps arabes leurs révolutions.

La clé se trouve peut-être dans le fait que beaucoup de ces pays tentent de transposer une matrice idéologique occidentale sans prendre en compte les réalités socio-culturelles du terrain. Cette transposition s’est parfois faite par la force, comme ce fut le cas pour l’Irak ou encore l’Afghanistan, et a, en conséquence, mené à la destruction de toute synergie civilisatrice, faisant passer ces sociétés d’un état civilisé à un état post-civilisé. Et quand elle se fait par l’énergie vitale de la société donnée, les idées manquent, et les pouvoirs déjà en place, conséquence de l’épuisement des idées et des innovations de cette société, sombrent dans un cercle répétitif et chaotique, d’où la situation n’évoluera que par un nouvel élan idéologique et progressiste.

Bibliographie :

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    https://www.bbc.com/afrique/articles/c62g4q8vy41o.
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  • Conflits, Revue. « Syrie. Pourquoi Assad est tombé. Un témoignage de l’intérieur ». Conflits : Revue de Géopolitique, 23 septembre 2025. https://www.revueconflits.com/syrie-pourquoi-assad-est-tombe-untemoignage-de-linterieur/.
  • Franceinfo. « Mohamed Bouazizi, l’immolation qui a déclenché le printemps arabe ». 17 décembre 2013. https://www.franceinfo.fr/monde/afrique/mohamed-bouazizi-l-immolationqui-a-declenche-le-printemps-arabe_459202.html.
  • Franceinfo. « Printemps arabes : le douloureux bilan de la Syrie ». 16 mars 2021. https://www.franceinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/printemps-arabesle-douloureux-bilan-de-la-syrie_4335129.html.
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  • rts.ch. « L’autocrate devenu le visage de la répression en Syrie, portrait de Bachar al-Assad | RTS ». infoSport. 8 décembre 2024. https://www.rts.ch/info/monde/2024/article/l-autocrate-devenu-le-visagede-la-repression-en-syrie-portrait-de-bachar-al-assad-28720629.html.
  • rts.ch. « Les coulisses de la fuite du président syrien Bachar al-Assad vers Moscou | RTS ». infoSport. 18 décembre 2024. https://www.rts.ch/info/monde/2024/article/la-fuite-secrete-de-bachar-alassad-les-dessous-d-un-depart-precipite-28730802.html.
  • « Syrie : une mosaïque ethnique et religieuse | TV5MONDE – Informations ». 11 décembre 2024. https://information.tv5monde.com/international/syrie-unemosaique-ethnique-et-religieuse-2752399.
  • Tribune de Genève. « Portrait de Bachar el-Assad: L’autocrate qui a maintenu la Syrie dans la répression ». 8 décembre 2024. https://www.tdg.ch/bachar-elassad-lautocrate-qui-a-maintenu-la-syrie-dans-la-repression482073030797.
  • Bennabi, M. (2016). Le problème des idées dans le monde musulman (rééd.).
    Tawhid Éditions. (Œuvre originale publiée en 1970).
  • Luizard, P.-J. (2022). Les racines du chaos : Irak, Syrie, Liban, Yémen, Libye — cinq États arabes en faillite. Tallandier

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