De Kim Il-sung à Kim Jong-un, une dynastie de tyrans alliés à la Russie
Par Victoria Gudzenko
La Corée du Nord est un des pays les plus fermés et répressifs de notre époque, dirigé depuis trois générations par la dynastie des Kim. Avant d’être soutenue par la Chine et inspirée par Mao, elle a été façonnée sur le modèle soviétique et sous l’aile protectrice de Moscou. Pour comprendre pourquoi le dirigeant nord-coréen actuel soutient le président russe, Vladimir Poutine, dans sa guerre contre l’Ukraine, en envoyant un important contingent de militaires en Russie, il est intéressant de se pencher sur l’histoire de cette dynastie des Kim et ses origines. En soutenant la Russie, Kim Jong-un marche en effet dans les pas de son grand-père.
Kim Il-sung et Staline
De Kim Il-sung à son petit-fils Kim Jong-un, le clan familial a bâti un régime totalitaire fondé sur le culte de la personnalité, le contrôle de la population, la répression et l’isolement du reste du monde. Depuis sa fondation, cet État entretient des liens étroits avec d’autres régimes autoritaires. Kim Il-sung, le premier dirigeant de la République Populaire de Corée du Nord, n’est pas seulement le fondateur d’un État exigeant de ses citoyens une totale loyauté allant jusqu’à la dévotion envers «le Grand Leader», il est aussi un libérateur. Né en 1912 pendant l’occupation japonaise, il a participé dans sa jeunesse à la résistance patriotique contre l’occupant. C’est cet engagement, ce combat qui a amené l’Union Soviétique à s’intéresser à lui et à le voir comme un allié potentiel.
Après ce que les Soviétiques appellent « la Grande guerre patriotique », la péninsule coréenne se trouve coupée en deux zones sous influence américaine au sud et soviétique au nord. Au nord Staline adoube Kim Il-sung comme le leader du nouvel État nord-coréen. Il lui apporte un soutien militaire et politique et lui sert de modèle. Avec l’aide de conseillers soviétiques, Kim Il-sung lance la collectivisation des moyens de production et leur nationalisation, met en place un système de parti unique garantissant son pouvoir absolu, se donne les instruments du contrôle de la société et de la répression de toute opposition. Un culte de la personnalité poussé à l’extrême par Staline, est dupliqué par Kim Il-sung, avec la même brutale répression de toute dissidence interne.
Après la guerre de Corée, l’idéologie Juche
Encouragé par Staline, Kim Il Il-sung lance en 1950 une offensive contre la Corée du Sud dans l’espoir de conquérir toute la péninsule et de la mettre sous sa botte. Mais l’intervention militaire des Etats-Unis en soutien au Sud va affaiblir considérablement le pays dans un conflit long de trois ans. L’Union soviétique a apporté son soutien au Nord en livrant des armes et en envoyant des conseillers militaires à Pyongyang, confirmant le statut d’État dépendant de l’URSS et sous son influence.
La mort de Staline en 1953, alors que la guerre s’achève par un statu quo sans accord de paix, Kim Il-sung va développer sa propre idéologie, le Juche, combinant des aspects de la pensée communiste, un nationalisme raciste un faisant de son peuple «les purs» et la soumission à un leader autocrate considéré comme un Dieu vivant. Le Juche prône aussi l’autosuffisance du pays et son isolement, plaçant sa population dans l’ignorance du reste du monde et dans l’utopie d’un État tout-puissant et d’un leader infaillible.
Kim Jong-il est né en URSS
À la mort de Kim Il-sung en 1991, son fils Kim Jong-il lui succède à la tête de l’État. Le nouveau dirigeant nord-coréen est né en Union soviétique, le 16 février 1941, plus précisément dans la région de Khabarovsk. Mais officiellement, il est né en 1942.
Dans les années 40, une base militaire stratégique pour l’URSS est implantée dans cette région, qui estdevenue la destination de nombreux Coréens fuyant la péninsule occupée par les troupes de l’empereur du Japon. Parmi eux, Kim Il-sung est engagé dans le mouvement des partisans, organisant la résistance et participant à des combats. Son fils Kim Jong-il a passé son enfance dans le village de V’yatsk où était basée la 88e brigade autonome de fusiliers de l’Armée rouge, dont son père commandait un bataillon. Ce souvenir de la libération, après la reddition du Japon de 1945, par les troupes soviétiques perdure aujourd’hui. Ce sont les soldats de Staline, qui occupaient le nord de la péninsule coréenne avant la partition de 1948.
Certains rapports suggèrent qu’il aurait porté le prénom de Youri dans sa jeunesse en raison de son lieu de naissance et portrait le patronyme de Irsenovich, Youri Irsenovich Kim est né dans un camp militaire, dans les conditions de vie des soldats soviétiques. On est très loin de l’historiographie officielle d’une naissance annoncée par des prophéties et portée par des miracles.
Depuis son plus jeune âge, Kim Jong-il est bercé par le communisme soviétique et préparé à jouer le rôle de futur leader et à incarner l’idéologie du régime. Il a étudié les sciences politiques, la stratégie militaire et l’idéologie Juche à l’Université Kim Il-sung. C’est lui qui a cherché à développer le programme nucléaire nord-coréen, avec l’aide des ingénieurs russes, dans le centre de recherche de Yongbyon dans les années 50 à 60 et en 65 avec un réacteur de recherche nucléaire soviétique IRT-2000, jusqu’à obtenir l’arme fatale comme garantie de la sécurité et de la pérennité du régime et outil de chantage international. Cela n’a pas empêché Moscou d’approuver des sanctions contre Pyongyang en 2017 pour ses essais nucléaires et de missiles à longue portée.
Si pendant son règne, les relations avec la Russie ont été fluctuantes, la rivalité avec les États-Unis a maintenu une proximité avec l’URSS. Kim Jong-un a repris la stratégie de son grand-père: maintenir le jeu de l’équilibre entre les puissances dont il dépend, à savoir la Chine, son parrain principal aujourd’hui et la Russie, historiquement.
La troisième génération des Kim
Kim Jong-un est la troisième génération Kim a dirigé la Corée du Nord. Il accède aux fonctions suprêmes à la mort de son père en 2011 en éliminant les potentiels concurrents et a affirmé son pouvoir en établissant une censure sévère, en développant des camps de rééducation où sont envoyés les opposants et leur famille, fut-elle loyale au régime. L’arme nucléaire et les fréquents essais de missiles balistiques lui permettent de maintenir un climat d’intimidation vis-à-vis de ses voisins et des États-Unis.
Des intérêts communs entre Poutine et Kim Jong-un
L’alliance actuelle entre Kim Jong Un et Vladimir Poutine présente de nombreuses similitudes avec les liens historiques de la RDC avec l’URSS. En 1991, avec l’effondrement du système soviétique et le délitement de son empire, la Corée du Nord perdait son principal allié, mais avec l’isolement croissant de la Russie au plan international, en raison de sa politique étrangère agressive, des sanctions et de la guerre en Ukraine, Moscou et Pyongyang se sont à nouveau rapprochés. Pyongyang qui a subi un effondrement de son économie et de nombreuses victimes durant la pandémie mondiale de Covid a resserré ses liens avec la Russie et rouvert sa frontière avec la Chine, pour la survie de sa population.
En 2023, la décision de Kim Jong-un de soutenir publiquement l’agression russe contre l’Ukraine s’inscrit dans cette phase de sortie de crise. Pyongyang a commencé à fournir une aide militaire à la Russie sous forme de munitions d’artillerie (2,5 millions de cartouches et des missiles), notamment et de divers équipements. En échange, la Russie pourrait avoir transmis à la Corée du Nord, des technologies militaires et un soutien technique susceptible de moderniser son arsenal. Ce partenariat permet à Kim Jong-un de renforcer la puissance militaire de la RDC, dont l’armée est à la fois le cœur du pouvoir avec le parti, mais aussi la 4e la plus nombreuse au monde. Pour Kim Jong-un, ce soutien est l’opportunité de consolider une alliance avec une puissance isolée comme la Corée du Nord, sur la scène internationale et d’obtenir une aide précieuse au plan technologique et économique alors qu’elle est affaiblie par les sanctions internationales.
Les deux régimes autoritaires cherchent à tout prix à préserver leur pouvoir, à s’opposer aux démocraties et aux droits de l’homme portés par l’Occident, à saper l’ordre mondial et le multilatéralisme, considérant que la guerre est un moyen de renforcer leur pouvoir en interne et de mettre à l’épreuve des États considérés comme faibles. De plus, la coopération avec la Russie permet à Pyongyang de bénéficier des ressources naturelles de la Russie, à commencer par le pétrole, un soutien au secteur agricole incapable de nourrir la population et en établissant des liens commerciaux par le biais de canaux illégaux ou semi-illégaux pour compenser les sanctions qui les frappent.
Kim Jong-un, un «ami de fer»
Le déploiement de militaires nord-coréens à 50 km de la frontière ukrainienne, dans la région de Koursk en Russie, a suscité des inquiétudes concernant un risque d’escalade du conflit et une menace. Si aucune confirmation officielle de la participation opérationnelle de soldats nord-coréens, leur simple présence crée une tension supplémentaire. La probabilité que la Russie puisse utiliser ces forces supplétives comme réserve augmente.Cette seule présence marque une nouvelle étape dans le jeu géopolitique de Poutine et de Kim
Jong-un. La situation sur le front militaire demeure tendue et nécessite constamment de nouvelles ressources, en raison des sanctions qui limitent l’approvisionnement en technologies militaires et en armements, même si la Russie est passée en économie de guerre. Elle est donc contrainte à s’assurer l’appui de pays capables de lui livrer ces armes. C’est le cas de l’Iran et de la Corée du Nord. Pour Vladimir Vladimirovitch Poutine, Kim Jong-
un un est devenu «un ami de fer».
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a averti, dans une interview accordée à la chaîne de télévision sud-coréenne KBS, que la guerre avec la Russie pourrait entrer dans une nouvelle phase avec la participation de militaires nord-coréens aux combats. Il a par ailleurs démenti que ces troupes soient déjà sur le champ de bataille mais a souligné que Pyongyang a envoyé un grand nombre de civils en Russie pour travailler dans les usines d’armement, notamment celle qui fournit les drones meurtriers qui frappent les populations civiles. En retour, la Corée du Nord pourrait acquérir le savoir-faire nécessaire à la fabrication de ces engins devenus indispensables à la guerre moderne.
Déploiement de soldats coréen, un signal inquiétant
Cet engagement nord-coréen sur le terrain du conflit a aussi une signification géopolitique. Elle envoie un signal inquiétant, celui de l’alliance militaire assorti d’un traité de coopération militaire signé en juin, de régimes non démocratiques intervenant dans des conflits locaux, contre des démocraties, menaçant ainsi la stabilité du système de sécurité international déjà bien affaibli. Elle démontre qu’un pays comme la Corée du Nord est prêt à participer à des conflits armés extra-régionaux. Ce fait représente un sérieux défi pour l’ordre mondial et doit être considéré comme une menace majeure aujourd’hui. Andrea Kendall-Taylor et Richard Fontaine parlent même «d’axe du bouleversement» dans les pages numériques de la revue Foreign Affairs.Comprendre cette dynamique et ses conséquences potentielles est essentiel pour la communauté internationale qui ne peut se contenter de condamner une telle coopération militaire de terrain. Elle doit aussi se donner les moyens de faire face efficacement aux conséquences probables de cette nouvelle donne.
Pour une compréhension approfondie des relations actuelles entre la Russie et la Corée du Nord et leur coopération mutuellement bénéfique, on peut se référer aux sources suivantes:
Bermudez, Joseph S., «Forces spéciales nord-coréennes», un travail de recherche qui analyse les capacités militaires de la République Populaire de Corée, y compris ses liens avec d’autres États. Lankov Andrei, «The real north Korea, life and politics in the failed stalinist utopia», un examen de l’histoire et de la politique de la Corée du Nord et ses liens extérieurs, y compris la Russie.«La politique étrangère de la Corée du Nord» sous la direction de Scott Snyder et Kyung Ae Park.Les Think Tank Rand Corporation, Brookings institution, Coucil on Foreign relations, qui publient des articles consacrés à la politique étrangère de Pyongyang.38 North, un projet de l’école des études internationales de l’Université Johns Hopkins, spécialisée dans les questions liées à la RPDC. Le site publie des analyses concernant la coopération militaire et l’interaction politique entre la RPDC et la Fédération de Russie.