L’hégémonie culturelle occidentale s’est largement opérée à travers le cinéma, entre comédie, propagande et stéréotypes. Netflix, version millénium de la grande époque du cinéma américain, pourrait, à son corps défendant, contribuer à mettre fin à cette dictature.
Le cinéma est l’un des outils les plus puissants de diffusion culturelle. Depuis son émergence, l’Occident, et en particulier Hollywood, a utilisé ce médium non seulement pour divertir, mais aussi pour façonner et imposer une vision du monde souvent centrée sur des valeurs et des perspectives occidentales. Ce phénomène déjà reconnu, que l’on peut qualifier d’ »hégémonie culturelle », a contribué à ancrer des récits, des idéologies et des stéréotypes sur les cultures non occidentales. Plusieurs films, à travers les époques, témoignent de cette dynamique. Certains la perpétuent, d’autres la dénoncent ou la subvertissent. À travers des œuvres emblématiques comme Le Dictateur de Charlie Chaplin, Rocky IV, The Dictator de Sacha Baron Cohen, et bien d’autres, il est possible de retracer ce phénomène.
Ceci n’est ni une prise de position idéologique, ni une critique du cinéma américain qui a bercé mon enfance et m’a fait rêver, rire, et parfois même aspirer à de grandes choses. Il est toutefois important de prendre la mesure des biais culturels imposés et de leur impact sur l’ordre mondial, ne serait-ce que pour revenir à une lecture plus juste, ouverte et respectueuse de notre civilisation.
Le Dictateur (1940) de Charlie Chaplin : une dénonciation satirique
Lorsque l’on pense à l’hégémonie culturelle occidentale au cinéma, Le Dictateur de Charlie Chaplin semble un point de départ évident. Sorti en 1940, au moment où le monde est plongé dans le tumulte de la Seconde Guerre mondiale, le film est une satire acerbe et courageuse de l’autoritarisme et du fascisme incarné par Adolf Hitler. Chaplin, à travers son double rôle du dictateur Hynkel et du barbier juif, utilise la comédie pour critiquer l’absurdité du pouvoir absolu et l’inhumanité du totalitarisme.
Mais ce qui est moins évident mais encore plus intéressant dans Le Dictateur, c’est la manière dont le film, tout en se moquant des tyrans européens, instille subtilement l’idée que l’Occident (ici symbolisé par l’Amérique) est le bastion de la liberté et de la démocratie. Chaplin dépeint un monde où la morale occidentale triomphe face à la barbarie, renforçant ainsi une vision manichéenne où l’Occident est le garant de la civilisation.
Rocky IV (1985) : Hollywood au service de la guerre froide
L’un des exemples les plus emblématiques et accessibles de l’hégémonie culturelle occidentale au cinéma est sans conteste Rocky IV. Ce film, réalisé par Sylvester Stallone en pleine période de la guerre des étoiles lancée par Ronald Reagan, met en scène un affrontement symbolique entre l’Amérique et l’Union soviétique à travers un combat de boxe entre Rocky Balboa et Ivan Drago. Rocky, représentant le rêve américain, incarne l’individualisme, la liberté et la persévérance, tandis que Drago, figure stéréotypée de la froide machine soviétique, symbolise la collectivisation, l’oppression et la tricherie.
Le film, sorti au cœur de la guerre froide, reflète parfaitement l’état d’esprit de l’époque. L’Occident est dépeint comme moralement supérieur, tandis que le bloc soviétique est réduit à une entité oppressante et déshumanisée. Ici, le cinéma devient un outil de propagande puissant, contribuant à façonner l’imaginaire collectif d’une Amérique victorieuse et d’une Union soviétique en déclin.
Argo (2012) : Une réécriture occidentale de l’histoire iranienne
Réalisé par Ben Affleck, Argo raconte l’histoire d’une mission secrète de la CIA pour exfiltrer des diplomates américains d’Iran après la révolution islamique de 1979. Le film a remporté plusieurs Oscars, mais il a également suscité des critiques pour sa vision biaisée de l’histoire. Il dépeint les Iraniens comme des ennemis irrationnels et violents, tandis que les Américains sont présentés comme des héros ingénieux et courageux.
Argo illustre comment le cinéma américain peut réécrire l’histoire à son avantage, occultant les nuances et les complexités des relations internationales pour proposer une narration simplifiée où l’axe des puissances du Bien, une fois de plus, triomphe de l’adversité.
Netflix : l’ironie de la diversité au sein d’une machine capitaliste américaine
L’émergence de plateformes de streaming comme Netflix semble aujourd’hui remettre en question cette domination culturelle occidentale. Ironiquement, Netflix, en tant qu’entreprise née et basée aux États-Unis et acteur central de l’industrie du divertissement, est elle-même un produit du capitalisme globalisé que l’Occident a promu et imposé depuis des décennies. Ses deux fondateurs, Marc Randolph (qui serait un descendant de Sigmund Freud) et Reed Hastings, ont été biberonnés aux grands classiques de John Ford ou Raoul Walsh mettant en scène des westerns où les cowboys venaient à bout de la résistance des méchants indiens (avec parfois un peu de nuance). La plateforme, bien qu’elle promeuve de plus en plus d’œuvres multiculturelles, et plus seulement d’origine anglo-américaine, fait partie de cette même « machine » qui a été au cœur de la domination culturelle occidentale.
Des œuvres telles que Roma, Squid Game, ou encore La Casa de Papel, bien qu’elles soient le produit de cinémas non américains, voire dissidents en termes d’idéologie, sont promues, diffusées et parfois même financées par Netflix, une entreprise qui reste un pilier du système de consommation de masse et de divertissement mondialisé. On peut y voir une forme d’ironie historique : la machine qui a servi à imposer l’hégémonie culturelle occidentale pourrait bien être celle qui, aujourd’hui, permettra une diversité culturelle accrue et plus de nuance dans les récits globaux, décentralisant ainsi le pouvoir narratif autrefois détenu par Hollywood.
Cette force centrifuge s’opère bien que, et, d’une certaine manière parce que, le modèle économique de Netxflix reste étroitement lié aux logiques de rentabilité et de consommation de masse, comme le soulignent certains chercheurs, tels qu’Amanda Lotz dans The Television Will Be Revolutionized (2014). Autrement dit, Netflix produit et diffuse des œuvres de facture défiant les standards hollywoodiens et la doxa américaine, pour répondre à une logique commerciale liée à une demande croissante du marché global. Dans l’environnement hautement concurrentiel des plateformes de streaming, elle n’a pas d’autre choix que de diversifier ses marchés et de jouer le pluralisme culturel quitte à perdre son âme de yankee.
Ainsi, sait-on jamais, peut-être que la plateforme aura, malgré elle, un rôle positif à jouer dans le rétablissement d’un équilibre culturel basé sur l’ouverture, la curiosité et le respect.