Par Lyna HAMANI, stagiaire au sein de l’Observatoire Géostratégique. Restitution travail de recherche et analyse
À l’occasion des célébrations du Nouvel An juif, des colons israéliens se sont rendus, le vendredi 21 septembre, sur l’Esplanade des Mosquées afin d’y accomplir des rites religieux sous protection policière. Cette énième incursion a été dénoncée par le Waqf, violant ainsi le statu quo de 1967, qui dispose que les non-musulmans ne peuvent se rendre sur l’Esplanade que pendant des heures précises, mais sans y prier.
Ces incursions, de plus en plus nombreuses et soutenues par certaines personnalités politiques, témoignent de l’évolution de la place du messianisme au sein de la société israélienne. L’Esplanade des Mosquées, dans sa dimension géopolitique, se fait ainsi l’allégorie d’un conflit confessionnel et territorial non résolu.

Esplanade des Mosquées, Mont du Temple : deux appellations pour une histoire croisée
Comme il est coutume de le dire, Jérusalem, ville « trois fois sainte », est le carrefour des trois grandes religions monothéistes. Pour les chrétiens, elle est liée à la mort et à la résurrection de Jésus. Pour les juifs, il s’agit de la cité fondatrice où fut bâti le Premier Temple du roi Salomon. Pour les musulmans, Jérusalem est le point de départ de l’ « ascension nocturne » effectuée par le prophète Mohammed et abrite la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam après La Mecque et Médine.
L’Esplanade des Mosquées se trouve dans la vieille ville, à l’est de Jérusalem. Les Juifs privilégient le terme de « Mont du Temple », intimement lié à l’histoire hébraïque. En effet l’Esplanade est construite sur les vestiges du Premier Temple de Salomon, bâti au Xe siècle av. J.-C. et détruit en 586 av. J.-C. par Nabuchodonosor II, roi de Babylone. Après la prise de Babylone par les Perses, Cyrus II ordonna aux juifs de retourner sur leurs terres et d’y reconstruire le temple qui sera considérablement agrandit par Hérode Ier le Grand. Cependant, lors de la première guerre judéo-romaine, en 70 après J.-C., l’empereur Titus ordonna à son armée de piller et de détruire définitivement le Temple. Aujourd’hui subsiste un vestige : le mur des Lamentations, ou mur occidental, soutenant l’Esplanade des Mosquées, considéré par les Juifs comme le lieu de prière le plus sacré.
Pour les musulmans, l’Esplanade et sa construction symbolisent le rayonnement des conquêtes de l’empire arabo-musulman au VIIe siècle. Après la conquête de Jérusalem en 638, le calife Omar Ibn al-Khattab fit nettoyer les ruines du Temple et y pria, et permis le retour des Juifs à Jerusalem. La construction du Dôme du Rocher fut achevée sous le califat omeyyade d’Abd al-Malik, bien que le site ait subi de nombreuses destructions et reconstructions au fil des siècles.
Un partage à l’origine de la discorde
Le 18 février 1947, les Britanniques annoncent leur intention de mettre fin à leur mandat sur la Palestine, octroyé par la Société des Nations en 1922. L’Organisation sioniste mondiale exige alors l’établissement d’un foyer juif en Palestine, conformément à la Déclaration Balfour de 1917, tandis que les Arabes réclament l’indépendance. L’Assemblée des Nations unies adopte la résolution 181 le 29 novembre 1947, prévoyant la création d’un État juif et d’un État arabe.
Jérusalem devait être placée sous tutelle internationale, mais cette disposition ne satisfait ni les Juifs ni les Arabes. Après la proclamation de l’indépendance d’Israël par David Ben Gourion en 1948, de nombreuses guerres désespérées éclateront, avec pour les arabes l’enjeux de « reconquérir » ces terres, et pour les juifs l’occasion d’agrandir leur souveraineté sur l’ensemble du territoire.
Souveraineté et contrôle de l’Esplanade après 1967
La question de la souveraineté sur l’Esplanade des Mosquées s’est rapidement posée. Certains, comme le rabbin Shlomo Goren, appelaient à sa destruction, tandis que d’autres mettaient en garde contre des conséquences potentiellement graves.
C’est dans ce contexte que l’on peut observer l’impact de la montée et de l’arrivée au pouvoir des Juifs messianiques, une situation notamment étudiée par Charles Enderlin dans son livre Au nom du Temple, paru en 2023.
Shlomo Goren installa finalement une synagogue dans l’enceinte du site, mais elle fut rapidement évacuée. Le ministre de la Défense, Moshé Dayan, déclara en 1997 : « Nous ne sommes pas venus pour conquérir les lieux saints des autres ou pour restreindre leur droit religieux, mais pour assurer l’intégrité de la ville et y vivre dans la fraternité. »
Cette position s’appuie sur le statu quo de l’Esplanade des Mosquées mis en place en 1967 entre la Jordanie et Israël, par Dayan lui-même. En effet, en 1967, Jérusalem-Est se trouvait sous souveraineté jordanienne, mais fut prise par Israël pendant la guerre des Six Jours. Moshé Dayan décida, de manière individuelle (ce qui lui sera reproché), de laisser le WAQF, l’organisation désignée par la Jordanie pour contrôler et gérer les édifices islamiques du site de la mosquée Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem, conserver la gestion des lieux musulmans. Toutefois, la sécurité serait assurée par la police israélienne, chargée de veiller, jusqu’en 2000, au respect de l’accord et à ce que les Israéliens ne se rendent pas prier sur l’Esplanade des Mosquées.
Cette situation ne raviera pas les plus extrémiste des sionistes religieux, et donnera notamment lieux aux massacres d’el-Aqsa où des membres du mouvement juif extrémiste « Mont du Temple » ont tenté de poser la pierre angulaire d’un troisième Temple, déclenchant des émeutes où 17 Palestiniens ont été tués et plus de 150 blessés.
Une recrudescence des tensions liées à l’extrémisme messianique
En 2001, Ariel Sharon chef du Likoud, se rendait sur l’esplanade des mosquées. Cet acte qu’on ne pourrait qualifier de manqué, étant donnée ses positions très strictes à l’encontre de la solution à deux Etats, est perçu comme une provocation par les Palestiniens marquera le début de la 2nd intifada. Elle fera plus de 4000 morts Palestiniens et 1500 morts Israéliens. Depuis, de plus en plus d’Israéliens se rendent sur l’Esplanade pour affirmer ce qu’ils considèrent comme leur légitimité historique, qui entraînant souvent des affrontements, comme en 2015 lors du Nouvel An juif.
Ces incursions sont largement encouragées par l’extrême droite religieuse israélienne. Des mouvements comme les « Fidèles du Mont du Temple », fondés par Gershom Salomon, ont même obtenu en 2001 l’autorisation symbolique de poser la première pierre du Troisième Temple par la Cours Suprême Israélienne. La légitimité proclamée de ces actions repose sur une lecture biblique du site, au-delà d’une approche politique cherchant l’apaisement. La prophétie de la vache rousse illustre cette dimension : la naissance d’une vache rousse parfaite serait le signe de la rédemption et de la reconstruction du Temple. Charle Enderlin révelait en 2015 dans un article publié sur France info, que l’institut du Temple avait préparer l’élevage de la vache rousse : « Le mouvement messianique est donc passé à la dernière étape de son projet », écrivait le journaliste. Malgré tout jusqu’à aujourd’hui, les rabbins considèrent qu’une telle vache n’a jamais été trouvée selon tous les critères, ce qui maintient l’attente messianique.
L’influence de ce courant se perçoit également à la Knesset, où plus de la moitié des sièges est aujourd’hui occupée par des partis d’extrême droite religieuse, donnant une légitimité politique aux visites fréquentes sur l’Esplanade par des membres du gouvernement, comme Itamar Ben Gvir.
Aujourd’hui, aucune solution n’a été trouvée, et des travaux en cours dans les sous-sols de l’Esplanade font craindre de nouveaux affrontements d’une intensité accrue. L’Esplanade des mosquées ou le Mont du temple, semble résolue à être le miroir d’un conflit meurtrier de plus grande échelle, opposant un pouvoir expansionniste non respectueux du découpage de 1947, à une société civile palestinienne qui peine à s’affirmer.
Annexe:
- Bakunetwork. (s.d.). Analytical report: Druze community in Syria. Bakunetwork.
https://www.bakunetwork.org/fr/news/analytics/14199 - L’Orient-Le Jour. (2023, avril 10). Le cheikh Hijri réclame une région druze séparée
dans le Sud de la Syrie. https://www.lorientlejour.com/article/1474871/lecheikh-hijri-reclame-une-region-druze-separee-dans-le-sud-de-la-syrie.html - TV5Monde. (2025, juillet 23). Syrie : qui sont les Druzes et pourquoi sont-ils
attaqués ? https://information.tv5monde.com/international/syrie-qui-sont-lesdruzes-et-pourquoi-sont-ils-attaques-2772007 - Les Clés du Moyen-Orient. (s.d.). Entretien avec Tobias Lang : Historiquement, la
communauté druze syrienne a…
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Tobias-LangHistoriquement-la-communaute-druze-syrienne-a.html - Euronews. (2025, juillet 23). Analyse : qui sont les Druzes de Syrie et pourquoi
ont-ils été au centre des récents conflits ?
https://fr.euronews.com/2025/07/23/analyse-qui-sont-les-druzes-de-syrie-etpourquoi-ont-ils-ete-au-centre-des-recents-conflit - France 24. (2025, août 17). Unification de la Syrie : « Il ne faut pas faire usage de
la force », président Al-Charaa, Druzes de Soueida.
https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20250817-unification-syrie-doitpas-faire-force-pr%C3%A9sident-al-charaa-druzes-soueida - Ici Beyrouth. (s.d.). Cheikh Hikmat Al-Hijri réclame une région séparée pour les
Druzes de Syrie. https://icibeyrouth.com/articles/1323781/cheikh-hikmat-al-hijrireclame-une-region-separee-pour-les-druzes-de-syrie - Le Monde. (2025, mai 1). En Syrie, un influent chef druze s’en prend au pouvoir et
dénonce une campagne génocidaire contre sa communauté.
https://www.lemonde.fr/international/article/2025/05/01/en-syrie-un-influentchef-druze-s-en-prend-au-pouvoir-et-denonce-une-campagne-genocidairecontre-sa-communaute_6602093_3210.html - SANA. (2025, août 1). Local news: Soueida province update.
https://sana.sy/fr/local/337199/ - Sada News. (2025, août 5). Syrie : situation de la communauté druze.
https://www.sadanews.ps/fr/articles/219400.html - i24News. (s.d.). Benjamin Netanyahou promet protection aux Druzes de Syrie et
défend sa doctrine de « paix par la force ».
https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/politique/artc-benjamin-netanyahoupromet-protection-aux-druzes-de-syrie-et-defend-sa-doctrine-de-paix-par-laforce - TESAA World. (s.d.). The Druze Sheikh Yusuf Jarrabu: “We do not accept any
foreign direction, and we are with our state”.
https://www.tesaaworld.com/fr/news/the-druze-sheikh-yusuf-jarrabu-we-donot-accept-any-foreign-direction-and-we-are-with-our-state-and-our-belongingto-our-country - L’Orient-Le Jour. (2023, avril 3). À Soueida, le cheikh druze Al-Hijri continue
d’imposer une ligne dure face à Damas.
https://www.lorientlejour.com/article/1458775/a-soueida-le-cheikh-druze-alhijri-continue-dimposer-une-ligne-dure-face-a-damas.html - Syriac Press. (2025, août 4). Druze spiritual leader Sheikh Hikmat Al-Hijri urges
ceasefire compliance; Red Cross sounds alarm on Suwayda crisis.
https://syriacpress.com/blog/2025/08/04/druze-spiritual-leader-sheikh-hikmatal-hijri-urges-ceasefire-compliance-red-cross-sounds-alarm-on-suwayda-crisis/ - Hourani, A. (2005). Les racines du chaos. Paris : Éditions du Seuil.