Trump 2025 : Anatomie d’un retour stratégique à haut risque

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By La rédaction

Une conférence organisée par l’Observatoire Géostratégique de Genève, en collaboration avec le Cercle canadien francophone d’analyse géostratégique, met en lumière les implications géopolitiques d’un éventuel second mandat Trump. Avec Sébastien Boussois, le général (retraité) Gaston Côté et le colonel (retraité) Jacques O’Keefe.

La réélection potentielle de Donald Trump constitue un tournant stratégique majeur. Au-delà du tumulte médiatique, plusieurs signaux faibles dessinent les contours d’un projet idéologique et opérationnel structuré, inscrit dans une logique de rupture assumée avec les fondements de l’ordre international d’après 1945.

C’est dans cette optique qu’a été organisée la conférence “Jusqu’où peut aller Donald Trump ?”, à l’initiative de l’Observatoire Géostratégique de Genève, en collaboration avec le Cercle canadien francophone d’analyse géostratégique. Autour du journaliste Alain Jourdan, elle réunissait le politologue Sébastien Boussois, le général à la retraite Gaston Côté et le colonel à la retraite Jacques O’Keefe, tous deux anciens officiers des forces armées canadiennes. Une analyse rigoureuse, transatlantique et transdisciplinaire.

Au cœur des échanges, le Projet 2025 – document de plus de 800 pages publié par la Heritage Foundation – apparaît comme le socle doctrinal d’une éventuelle nouvelle administration Trump. Loin d’un simple programme électoral, il s’agit d’un manuel de restructuration complète de l’appareil d’État, dont les objectifs sont multiples : centraliser le pouvoir exécutif en neutralisant les contre-pouvoirs bureaucratiques, remplacer les hauts fonctionnaires de carrière par des cadres nommés pour leur loyauté, réorienter les politiques publiques vers une vision conservatrice assumée, réarmer l’économie américaine via une stratégie protectionniste offensive, et rompre avec le multilatéralisme pour privilégier une diplomatie bilatérale utilitariste.

Selon le colonel O’Keefe, ce projet est “non seulement pensé, mais déjà en cours de mise en œuvre à travers des signaux économiques, monétaires et diplomatiques clairs”. Il évoque notamment une stratégie de dévaluation ciblée du dollar américain pour relancer les exportations, une hypothèse audacieuse mais plausible à la lumière de précédents historiques comme les accords du Plaza en 1985. Cette approche monétaire est associée à une vision du commerce international centrée sur la réciprocité forcée, les tarifs douaniers étant utilisés comme levier stratégique autant que politique.

La conférence a souligné que Donald Trump incarne une forme de réalisme radical, où la coopération internationale est perçue comme un fardeau plutôt qu’un levier. À Genève, les agences de l’ONU subissent déjà les effets de cette posture : réduction drastique des financements, paralysie des réformes, atmosphère d’incertitude institutionnelle. “Trump agit sur la base d’une logique transactionnelle : ce qui ne rapporte pas à l’Amérique ne mérite pas d’exister”, observe Sébastien Boussois. Il ajoute : “La véritable erreur de l’Europe a été de ne pas prendre au sérieux son retour. Tout était pourtant écrit.”

L’axe transatlantique ne serait pas simplement fragilisé par un second mandat Trump. Il serait, selon les intervenants, fondamentalement redéfini. Le général Côté n’hésite pas à parler d’un “Yalta 2.0”, où les sphères d’influence mondiales seraient redistribuées de facto, la Russie et la Chine bénéficiant d’un vide stratégique occidental. Le Canada, en première ligne de cette reconfiguration, s’inquiète. “Nos chaînes de valeur sont intégrées, nos souverainetés économiques en danger. L’hypothèse d’une absorption progressive, économique plus que militaire, n’est plus taboue”, alerte le général. Quant à l’OTAN, elle pourrait être directement ciblée. Trump a plusieurs fois menacé de s’en désengager. La pression budgétaire sur les États membres pourrait servir de prétexte à un retrait partiel, voire total, au nom d’un recentrage sur l’Asie-Pacifique. Une option réaliste, selon le colonel O’Keefe, ancien officier de l’OTAN, dans une perspective de confrontation stratégique avec la Chine.

La ligne de fracture ne serait pas uniquement géopolitique, mais également idéologique et normative. L’administration Trump, en s’adossant au Projet 2025, entend s’attaquer à ce qu’elle considère comme une dérive progressiste : droits des minorités, écologie, immigration, égalité de genre, libertés académiques. L’offensive est culturelle, juridique, institutionnelle. “Trump agit comme un catalyseur : il révèle les fissures de nos démocraties, plus qu’il ne les provoque”, résume Boussois.

La conclusion est sans appel : le Vieux Continent a sous-estimé la force de la disruption trumpiste, pensant que le retour à la “normale” était possible. Or, le phénomène Trump n’est pas une anomalie, mais un symptôme d’un monde qui bascule. Alors que la Commission européenne n’a commencé à anticiper ce scénario qu’à l’été 2024, il semble déjà trop tard pour bâtir une réponse unifiée. Pour les intervenants, c’est l’autonomie stratégique de l’Europe qui est aujourd’hui en jeu – militaire, industrielle, normative – si elle souhaite survivre à ce choc tectonique.

La conférence “Jusqu’où peut aller Donald Trump ?” n’a pas seulement permis de dresser un portrait politique de l’ancien président. Elle a mis en lumière la cohérence souterraine d’un projet de reconquête globale, où l’Amérique ne se contente plus de dominer, mais entend imposer ses règles. Plus que jamais, la capacité des Européens à réagir à froid, à anticiper rationnellement, et à se réinventer en puissance autonome, pourrait bien être le seul rempart face à ce que certains n’osent plus appeler l’impensable.

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