Symposium : La santé mentale dans l’action humanitaire

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By La rédaction

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Le 30 juin, au Club suisse de la presse à Genève, s’est tenu un symposium organisé par l’ONG MIM sur un thème encore trop souvent relégué au second plan de l’action humanitaire : la santé mentale. Intitulé « La santé mentale dans l’action humanitaire », cet événement a réuni des expert·e·s, des praticien·ne·s de terrain et des défenseur·se·s des droits humains pour mettre en lumière les impacts psychologiques des conflits armés, en particulier sur les femmes. Dans ce cadre, l’intervention d’Imen Chaanbi a porté un éclairage puissant sur les traumatismes invisibles et les parcours de résilience des femmes au Mali, en Libye et au Soudan.

Guérir les cicatrices invisibles : santé mentale et résilience des femmes dans les zones de confli

Cas du Mali, de la Libye et du Soudan

« Quand les armes se taisent, les blessures des femmes continuent de saigner en silence. »

Dans les zones de guerre, les récits tournent souvent autour des morts, des villes en ruines, des lignes de front. Pourtant, au-delà du vacarme des bombes, une autre forme de destruction s’installe, plus discrète mais tout aussi ravageuse : celle des esprits. Les traumatismes mentaux, souvent invisibles, hantent les survivants longtemps après la fin des combats. Et parmi les plus touchées, les femmes paient un prix particulièrement élevé, trop souvent ignoré dans les stratégies de reconstruction.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une personne sur cinq vivant en zone de conflit souffre de troubles mentaux, mais moins de 10 % d’entre elles reçoivent un accompagnement psychologique. Derrière ces statistiques, ce sont des vies brisées, des voix étouffées, des blessures que l’on refuse de voir.

Dans cet article, nous mettons en lumière les parcours de résilience des femmes au Mali, en Libye et au Soudan, trois pays marqués par des conflits violents et prolongés. Ces femmes, à la fois victimes et actrices, se battent pour survivre, pour guérir et pour redonner un sens à leur existence, dans des conditions extrêmes.

Mali : entre guerre, exil et solidarité féminine

Depuis 2012, le Mali est plongé dans un conflit armé qui a causé le déplacement de plus de 400 000 personnes à l’intérieur du pays. Parmi elles, une majorité de femmes et d’enfants, souvent livrés à eux-mêmes, souvent marqués par la perte d’un proche, d’un foyer, ou d’une communauté entière.

Les conséquences psychologiques sont lourdes : stress post-traumatique, dépression, troubles anxieux. Les femmes, en particulier, sont confrontées à des violences sexuelles, parfois utilisées comme arme de guerre. Dans les camps de déplacés, les conditions de vie sont précaires, insécurisées, et souvent traumatisantes à leur tour.

Mais malgré l’adversité, des formes de résistance se mettent en place. Des groupes de parole émergent. La culture, sous ses formes les plus simples – chant, artisanat, récits – devient un levier de reconstruction. « Quand on t’enlève tout, il te reste ta voix, ton histoire, ta mémoire », confie une femme réfugiée dans le centre du pays.

Ces pratiques collectives ne sont pas anodines. Elles jouent un rôle essentiel dans la restauration de l’estime de soi, dans la réappropriation d’une identité, dans la transmission d’une mémoire vivante. Ce sont des actes de survie, mais aussi des actes de résistance silencieuse.

Libye : violence, enfermement et traumatisme migratoire

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est plongée dans une instabilité chronique. Le pays est devenu à la fois un champ de bataille et un territoire de transit pour des milliers de migrants, souvent originaires d’Afrique subsaharienne.

Pour les femmes migrantes, la Libye est souvent synonyme d’enfermement, d’abus et de détresse psychologique. Certaines sont emprisonnées dans des centres de détention, d’autres livrées à des réseaux de traite ou de violence sexuelle. Même celles qui parviennent à fuir vers l’Europe ou les pays voisins portent avec elles les séquelles du traumatisme.

Les troubles sont profonds : douleurs chroniques, insomnies, crises d’angoisse, sentiment d’isolement extrême. Pourtant, les services de santé mentale restent largement inaccessibles. La barrière linguistique, la stigmatisation et la méfiance rendent tout accompagnement difficile.

Heureusement, des espaces de solidarité émergent aussi : associations locales, centres communautaires, groupes de soutien. Ce sont dans ces lieux, souvent créés par des femmes pour les femmes, que l’on retrouve un peu d’écoute, un peu d’espoir, un début de guérison.

Soudan : guerre récente, douleurs anciennes

Depuis avril 2023, le Soudan est ravagé par une guerre d’une extrême violence. Plus de 14 millions de personnes ont été déplacées, en majorité des femmes et des enfants. Les récits qui émergent du Darfour ou de Khartoum sont effroyables : viols collectifs, enlèvements, séparations familiales, faim, isolement.

La santé mentale dans ce contexte est une urgence invisible. Les ONG comme Médecins sans frontières rapportent une explosion des cas de troubles psychiques. Au premier trimestre de l’année, l’organisation a pris en charge 659 survivantes de violences sexuelles dans le seul Darfour.

Pourtant, même dans ces circonstances, des formes de reconstruction émergent. Dans les camps de réfugiés au Tchad ou en Égypte, des ateliers de broderie, d’écriture, de narration sont mis en place. Ces gestes simples deviennent des exutoires, des symboles de résilience. Les femmes y retrouvent un sentiment d’utilité, une identité collective, un lien avec la vie.

Pour une paix durable, il faut guérir les esprits

On ne rebâtit pas un pays sans rebâtir les êtres humains qui l’habitent. Et on ne peut pas parler de paix tant que les esprits restent en guerre. La santé mentale des femmes dans les zones de conflit n’est pas un sujet secondaire : c’est un pilier central de la reconstruction, un droit humain fondamental.

C’est pourquoi il est urgent :

D’intégrer la santé mentale dans tous les plans humanitaires d’urgence ;

De financer des programmes de soutien psychologique dès les premiers stades d’un conflit ;

De former des intervenantes locales, issues des communautés, pour accompagner les femmes de manière culturellement adaptée ;

De briser le tabou qui entoure la souffrance mentale à travers les médias, l’éducation et les espaces communautaires.

« Ce que la guerre détruit en silence, l’écoute et la solidarité peuvent le reconstruire. »

Les femmes du Mali, de la Libye et du Soudan ne demandent pas la charité. Elles exigent la justice, la reconnaissance, la dignité. Investir dans leur santé mentale, c’est investir dans l’avenir de la paix.

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