Décembre 2024 a marqué une étape cruciale pour la démocratie en Corée du Sud. Entre l’instauration de la loi martiale, les protestations populaires et la destitution du président Yoon Suk Yeol. Retour chronologique sur les événements qui ont façonné ce moment clé de l’histoire sud-coréenne.
Dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024, le président conservateur sud-coréen, Yoon Suk Yeol, instaure la loi martiale, déclenchant une crise politique historique dans le pays et aux yeux du monde entier. Les événements se sont déroulés à une vitesse exceptionnelle. L’annonce a été faite lors d’une allocution du président à la télévision sud-coréenne à 22h25 (heure locale). Cet acte est alors justifié par la volonté du président d’anéantir “les forces anti étatiques qui ont fait des ravages”. Yoon accuse les forces “pro-nord-coréennes” et anti-étatiques de tenter de déstabiliser le pays. La Corée du Nord et ses sympathisants sont directement présentés comme la cause de cette décision. Il mentionne également les partis d’opposition qui tenteraient de bloquer les mesures essentielles de son programme. Ces partis d’opposition sont favorables à un rapprochement avec la Corée du Nord et au dialogue alors que Yoon tend vers une politique plus ferme par rapport à la Corée du Nord.
Des mesures drastiques “liberticides”
Dans le cadre de l’application de la loi martiale, plusieurs mesures strictes ont été décrétées par les autorités afin de maintenir l’ordre et la stabilité. Ainsi, toutes les activités des partis politiques, y compris celles du Parlement, sont désormais interdites jusqu’à nouvel ordre. De même, les rassemblements publics et manifestations, quels qu’en soient les motifs, sont formellement proscrits, en raison des risques de troubles à l’ordre public qu’ils pourraient engendrer. Les médias et publications font également l’objet d’un contrôle strict visant à empêcher la diffusion de fausses informations, ainsi que toute tentative de manipulation de l’opinion publique. Par ailleurs, les grèves et mouvements de protestation sont interdits pour le personnel médical, y compris les internes, qui s’étaient engagés dans un mouvement de grève. Ces derniers sont dans l’obligation de reprendre leur service dans un délai de 48 heures, sous peine de sanctions disciplinaires et judiciaires. Ces mesures drastiques ont, selon les autorités, pour objectif de préserver la sécurité et la stabilité en cette période exceptionnelle et éviter que la situation ne dégénère. Cependant, ces mesures ne sont pas bien accueillies par les sud-coréens et l’opposition qui y voient un acte liberticide et une menace à la démocratie, voire le basculement vers un régime autoritaire.
Une mobilisation historique
Rapidement, l’acte est dénoncé par l’opposition, mais l’indignation est générale. Les sud-coréens ne tardent pas à descendre dans les rues pour protester contre cette mesure. La décision est contestée jusque dans le parti de Yoon Suk Yeol (parti conservateur “Pouvoir au Peuple” ou “PPP”). Les activités des partis sont aussitôt interdites et l’Assemblée Nationale est sous scellée. Des blindés militaires et forces de l’ordre ont renforcé la sécurité au Parlement, accompagnés d’hélicoptères sur le toit du bâtiment. Malgré l’interdiction et la dissuasion armée sur place, 190 députés parviennent à accéder au Parlement et se réunissent pour une séance exceptionnelle visant à lever la loi martiale. L’avenir du pays se joue et les députés le savent. Le chef de l’opposition (le parti démocrate, appelé “DPK”) a escaladé les portes pour accéder au parlement et participer au vote, tout en étant en live Instagram pour tenir informer de la situation sur place. Une motion visant à bloquer l’application de la loi martiale est votée à l’unanimité par la Parlement. Cependant, les forces armées sud-coréennes annoncent qu’elles feront respecter la loi martiale jusqu’à ce qu’elle soit officiellement levée par le président. Ce moment arrive vite puisque le 4 décembre au matin, 4h27 heure locale, le président Yoon Suk Yeol annonce avoir levé la loi martiale suite au vote du parlement.
Toutefois, les sud-coréens ne mettent pas fin à la mobilisation pour autant. Au contraire, l’heure est à la contestation. Le président Yoon est très impopulaire dans son pays. Des manifestations, bien que peu massives, ont eu lieu régulièrement ces derniers mois pour appeler à sa destitution. La loi martiale est l’erreur de trop, une décision unanimement reconnue comme “antidémocratique” et “irrationnelle”. La confédération coréenne des syndicats, la plus importante confédération syndicale du pays, appelle à une grève illimitée jusqu’à la démission du président. des centaines de milliers de sud-coréens descendent dans les rues pour la destitution du président. Pendant ce temps, Yoon est mis en examen pour haute trahison et interdit de quitter le territoire.
Vers la chute de Yoon Suk Yeol
Le Parti Démocrate soutient un vote pour l’impeachment de Yoon Suk Yeol. L’impeachment est vu pour beaucoup comme le seul moyen de préserver la constitution, la loi et la démocratie. Le 14 décembre 2024, la motion d’impeachment est votée par les parlementaires et le désormais ex-président est immédiatement suspendu. 204 députés sur 300 ont voté en faveur de la motion, parmi eux, des membres du parti présidentiel. Si la motion n’est pas invalidée par la Cour Constitutionnelle, il deviendra le deuxième président de l’histoire de la Corée du Sud à être destitué, après Park Geun Hye en 2017. Le premier ministre Han Duck Soo prend l’intérim le temps que de nouvelles élections aient lieu.
Le 27 décembre, Han Duck Soo est lui-même empêché suite au vote du Parlement et Choi Sang Mok, ministre de l’économie et de finances, le remplace. L’opposition lui reprochait notamment de ne pas avoir désigné trois des neufs juges censés examiner la validité de la destitution de Yoon dans un délai de six mois, entravant la procédure d’enquête visant à interroger les personnes impliquées dans l’acte de rébellion du 3 décembre. Pour valider la motion, une majorité des deux tiers est nécessaire. Si trois juges manquent avant la fin de la procédure d’enquête, sur les six juges restants, si un seul vote contre la motion d’impeachment, le président Yoon pourrait reprendre ses fonctions et plonger le pays dans une crise politique sans précédent. Le chef du DPK, Lee Jae Myung désigne l’autorité intérimaire comme une “autorité insurrectionnelle”.
Une crise aux résonances historiques
Bien que les médias s’affolent, sur place, les sud-coréens ne paniquent pas mais sont plutôt troublés et dans l’incompréhension face à cette situation inédite mais surtout déterminés à mettre un terme à cette crise et par la même occasion, au mandat de Yoon Suk Yeol, désigné comme une “dictature”. Des témoins sur place partagent leur sentiment de fierté à la vue du peuple qui s’est uni et mobilisé sans hésitation pour défendre leurs libertés. Les réactions sont fortes et passionnées. En effet, la loi martiale a un goût particulièrement amer pour les sud-coréens. Ce n’est pas la première de leur histoire. La loi martiale avait déjà été instaurée en 1980 après l’assassinat du président Park Chung-Hee lors du soulèvement de Gwangju. Les souvenirs de cette période sont lourds pour les sud-coréens. Sous la loi martiale, la répression armée fut violente. Le bilan officiel fait état d’environ 160 morts au cours des dix jours de répression.
Une manoeuvre politique à l’origine de la loi martiale
Derrière les raisons officielles données par Yoon pour justifier l’instauration de la loi martiale, les raisons officieuses renvoient aux fragilités du gouvernement sud coréen. Cette tentative de coup d’Etat du président visait à renforcer son pouvoir dans un contexte de vulnérabilité.
Yoon Suk Yeol a fait l’objet de vives critiques en raison de sa politique et des scandales entourant ce sujet. Il est pointé du doigt notamment pour sa réaction suite à la tragédie d’Itaewon du 31 octobre 2022 qui a fait 159 victimes mais aussi sa mauvaise gestion de la crise du secteur médical et les grèves qui ont suivi. Son parti a subi une défaite aux élections législatives en avril 2024, son influence recule au sein de l’Assemblée. Sa côte de popularité était passée sous la barre des 20% un mois avant la crise politique. Le 2 décembre, le DPK avait soumis à l’assemblée nationale des motions visant à mettre en accusation quatre proches du pouvoir dont des procureurs, le parlement avait voté une réduction du budget de 2,8 milliards de dollars pour 2025. L’année 2024 pour Yoon Suk Yeok avait débuté par une affaire de corruption. Une vidéo datant de 2022 montrant son épouse acceptant un sac à main de luxe a été diffusée et a provoqué un scandale et une enquête par la commission de lutte anti-corruption.
Une démocratie renforcée
Cette crise politique, représentant une menace pour les libertés fondamentales, restera gravée dans l’histoire de la Corée du Sud comme un moment critique pour sa démocratie. Ce que l’histoire retiendra avant tout, c’est la mobilisation sans faille du peuple sud-coréen. Face à une tentative de prise de pouvoir perçue comme liberticide, les citoyens, conjointement avec l’action parlementaire, ont su faire valoir leurs droits et défendre les principes fondamentaux de leur démocratie. Au-delà des tensions et des défis, cette expérience a permis de consolider les bases démocratiques du pays. La démocratie sud-coréenne a non seulement survécu à cette épreuve, mais elle en ressort renforcée grâce à l’engagement collectif de ses citoyens et de ses institutions. La page du mandat de Yoon Suk Yeol se tourne, une nouvelle dynamique s’installe. La Corée du Sud doit maintenant relever des défis majeurs, notamment une crise démographique majeure.