Dans sa brouille avec la France, l’Azerbaïjan appuie là où ça fait mal

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By Alain Jourdan

par Alexandre Gayan

Faire payer à la France son soutien à l’Arménie: tel est l’objectif de l’Azerbaïjan. Après la guerre de 44 jours qui lui a permis en 2020 de remettre la main sur un tiers de la région disputée du Haut-Karabagh, peuplée majoritairement d’Arméniens chrétiens, Bakou n’a pas digéré les sanctions décidées par Paris, ni les contrats d’armement signés avec Erevan. 

A l’expulsion de deux diplomates français répondait celle de deux azéris et l”interpellation d’un Français pour espionnage, nous apprend France 24. Un autre citoyen de l’Hexagone  a été condamné le 10 septembre sur les mêmes accusations, lors d’un jugement «ouvertement discriminatoire» à trois ans de prison.

A l’occasion de la COP 29 à Bakou, le conflit s’est exprimé ouvertement après les déclarations hostiles du président azerbaïdhanais Ilham Aliev à l’égard de la France, provoquant l’annulation de la venue de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runache.

Les cadeaux de la “diplomatie du caviar” avec ses voyages tout compris offerts par le régime d’Ilham Aliev en France semblent bien loin. Après la carotte, Alyiev use du bâton. Profitant de sa présidence du Mouvement des non-alignés (2019-2024), l’Azerbaïjan a créé en juillet dernier le Baku initiative Group, dirigée par Abbas Abbassov. Une ONG très active depuis, puisqu’elle a organisé 16 événements en un an. Toutes dénoncent le colonialisme français. L’une d’elle s’est déroulée à Genève, le 22 octobre, dans un side-session, lors de la 142e assemblée du Conseil des droits de l’homme au Palais des nations.   

Les émeutes en Nouvelle-Calédonie, du pain bénit pour Bakou 

En mai, lorsque les premières émeutes de Nouvelle-Calédonie contre la réforme du corps électoral, ressenti par les indépendantistes comme une volonté de minorer électoralement la population kanake, le Groupe d’initiative de Bakou a organisé une visio-conférence avec tous les mouvements indépendantistes des territoires d’Outremer français pour discuter de la situation dans l’île française du Pacifique. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin avait accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence, soulignant la présence de drapeaux azerbaïdjanais sur une barricade des émeutiers.

Les tensions en Nouvelle-Calédonie ne sont évidemment pas le résultat d’une machination de Bakou. Mais elle l’utilise pour discréditer la France. La répression des émeutiers qui a fait 13 morts donne des arguments aux anti-coloniaux. Tandis qu’un autre match se joue au plan géopolitique, la Nouvelle-Calédonie constituant un point central de sa présence en zone indo-pacifique, terrain de confrontation entre les Etats-Unis et la Chine. 

Lors de la session du Conseil des droits de l’homme à Genève, Mlin Sakilia, député indépendantiste du FLNKS a dénoncé “la répression, les arrestations et les tortures d’activistes qui manifestaient pacifiquement”. Il a aussi reproché à Paris d’avoir déployé d’importants contingents de forces de l’ordre pour baillonner la liberté d’expression. Et avançait un bilan des morts (confirmés par Paris), de 500 disparus et de 2800 arrestations. Du pain bénit pour Bakou.

La présence d’un activiste panafricaniste et antisémite à Genève

Etait aussi présent à Genève, Kemi Seba, un panafricaniste anticolonial béninois, déchu de la nationalité française, ex-leader de la Tribu Ka, un groupuscule antisémite dissous prônant la séparation des blancs et des noirs. Interpellé le 14 octobre par des agents de la Direction générale de la Sécurité intérieure, il était gardé à vue 48 heures. Soupçonné de lien avec le groupe paramilitaire russe Wagner, selon les révélations du pure-player français  Mediapart confirmées par une “source proche du dossier” selon Libération, il fait l’objet d’une enquête préliminaire pour “ingérence étrangère”. Détenteur d’un passeport octroyé par la junte au pouvoir au Niger, il a été relâché sans être poursuivi à cette heure.

 A Genève, ce proche de l’antisémite Dieudoonné a vilipendé la France “au nom d’une population écrasée, humiliée par une oligarchie française néocoloniale”, lui reprochant notamment de “prôner les droits de l’homme à l’extérieur sans les appliquer à l’intérieur”. Il a été accusé par le député de la majorité présidentielle française d’être “un relais de la propagande russe”.

Les Antilles invitées et les Corses courtisés

Les manifestations contre la vie chère en Martinique et en Guadeloupe ont aussi créé un terrain favorable à des discours dénonçant le néocolonialisme français. Le Baku Initiative Group avait aussi invité à Genève deux représentants indépendentistes antillais, Jean-Jacob Bissap, secrétaire général de l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe et Muriel Daniel, membre du Mouvement des Démocrates et Ecologistes pour une Martinique souveraine. Ce dernier estimait d’ailleurs que “les prix exhorbitants de l’alimentation en Martinique faisaient partie des instruments coloniaux pour maintenir notre peuple en esclavage”. 

La réunion au Palais ds nations s’est conclue sur un appel aux Nations Unies, exigeant une condamnation du néo-colonialisme français. Sur une photo publiée sur les réseaux, l’ensemble des invités de l’Azerbaïdjan portaient un T-shirt avec le slogan “End french colonialism”. 

Le Baku Initiative Group s’intéresse aussi à ce qu’il se passe en Corse, une île qui a une longue histoire de lutte clandestine contre l’Etat français, aujourd’hui dirigée par une assemblée régionale et un exécutif présidé par l’élu autonomiste Gilles Simeoni. L’assemblée corse a voté en mars dernier “ la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République“, discutée avec le ministre de l’intérieur français d’alors, Gérald Darmanin. De quoi inspirer d’autres activistes réunis par le Baku Initiativ Group.

Les mouvements indépendantistes corse, comme ceux des Antilles, de Guyane ou de Polynésie relaient régulièrement les posts du Baku Initiative Group sur les réseaux sociaux. Bakou les finance-t-il? On peut se poser la question. L’Azerbaïdjan a aussi pris partie pour la souveraineté de l’Union des Comores sur le département français de Mayotte, resté dans la République suite à un vote populaire, une “ingérence” dénoncée par Paris. 

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