Après plusieurs mois de discussions conjointes, les États-Unis et l’Irak ont annoncé, le 27 septembre 2024, la fin de la mission de la coalition internationale en Irak1, initialement établie en 2014 pour lutter contre l’organisation État islamique (EI). Dans ce cadre, près de 2 500 soldats américains y sont déployés et fournissent conseils et assistance militaire aux forces de sécurité irakiennes (FSI) dans leur lutte contre le terrorisme.
Après évaluation de la situation militaire et de l’environnement sécuritaire, les autorités américaines et irakiennes se sont accordées sur l’évolution de la mission de la coalition selon un plan de transition en deux phases. La première, jusqu’en septembre 2025, implique la fin de la mission en Irak afin que puissent émerger des partenariats bilatéraux, notamment en matière de sécurité. Dès lors, les forces de la coalition devront se retirer de certaines localités irakiennes. La seconde, entre septembre 2025 et septembre 2026, vise essentiellement à empêcher la résurgence de l’État islamique en Syrie et une propagation à l’Irak voisin. Dans ce contexte, la coalition pourra continuer à mener des opérations contre l’organisation depuis le territoire irakien2.
Une transition hâtée par le contexte sécuritaire régional et la situation politique intérieure irakienne
Le départ des forces de la coalition était l’un des souhaits exprimés par le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, qui considère que leur présence n’est plus justifiée. En effet, il estime que les FSI ont la capacité d’assurer la défense de l’Irak et de lutter contre l’EI3, lequel ne constitue plus, selon lui, une menace à la sécurité du pays. Le contexte sécuritaire régional et les conséquences de la guerre à Gaza en Irak ont toutefois accéléré le dialogue sur la fin de la coalition. Depuis le 7 octobre 2023, des milices chiites irakiennes, rassemblées au sein des Forces de mobilisation populaire (FMP), ont mené de nombreuses attaques, parfois meurtrières4, contre les forces et infrastructures américaines. En représailles, l’une des frappes menées par les États-Unis début février 2024 avait causé la mort du cadre des Kataeb Hezbollah5. En plus d’exacerber les tensions et l’anti-américanisme d’une partie des élites chiites, l’intervention de Washington a renforcé la pression interne sur le gouvernement irakien eu égard au retrait des troupes américaines et au départ de la coalition6, considérée comme un facteur d’instabilité en Irak.
N’ayant que très peu de marge de manœuvre pour contrôler et limiter l’influence des FMP, Soudani est également fragilisé depuis l’été 2024 par une affaire d’écoutes téléphoniques qui impliquerait des membres de son cabinet7. Affaibli sur la scène politique intérieure, il cherchait ainsi à obtenir une victoire politique en vue des prochaines élections législatives d’octobre 20258. Dès lors, cet accord conjoint, précédé d’une rhétorique virulente à l’encontre de la présence militaire américaine, lui sert non seulement à satisfaire les élites chiites du Cadre de coordination, mais également ses propres ambitions électorales.
Un partenariat bilatéral aux contours flous
Washington et Bagdad veulent renforcer leurs relations et leur coopération en matière de défense et de sécurité dans le cadre d’un partenariat bilatéral post coalition9. Cependant, des interrogations demeurent concernant la présence des troupes américaines, leur mission et l’avenir de leurs bases en Irak. Les deux pays se sont accordés sur la temporalité du plan de transition, mais n’apportent aucune précision sur les modalités du retrait des troupes et du partenariat bilatéral envisagé. Si l’on s’en tient au plan, le départ devrait être effectif en septembre 2026. Mais pour le Pentagone, il s’agit moins d’un retrait que d’un changement de statut : les troupes américaines continueraient d’opérer en Irak dans le cadre d’un accord bilatéral et de fournir, à la demande de Bagdad, conseils et assistance aux services irakiens luttant contre le terrorisme10. Toutefois, l’aide, voire la participation des États-Unis à de futures opérations conjointes contre l’EI n’est pas explicitée. Or, si la réussite de précédentes opérations de ce type a permis d’illustrer l’amélioration des capacités des FSI, elles bénéficient encore grandement du soutien technique et des renseignements des forces de la coalition11. De même, le Service de contre-terrorisme irakien (CTS), majoritairement soutenu et financé par Washington, et reconnu pour ses opérations anti-terroristes à grande échelle, connaît une importante détérioration en raison de sa pénétration par des milices pro-Iran. Politisé et de plus en plus corrompu, le CTS risque de basculer définitivement sous influence iranienne sans une réponse américaine urgente12, ce qui pourrait gravement affaiblir la sécurité du pays.
Des perspectives incertaines pour l’Irak sous l’administration Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche suscite des interrogations sur la future politique étrangère au Moyen-Orient. Si l’Irak ne semble pas être une priorité majeure, il représente toutefois un « théâtre de confrontation directe entre les États-Unis et l’Iran »13, isolé et affaibli par la chute du régime syrien et l’altération des capacités militaires du Hezbollah par Israël. Les milices irakiennes pro-Iran demeurant l’un des derniers piliers de l’« Axe de la résistance », l’Iran pourrait vouloir renforcer sa mainmise sur son voisin, lequel lui apporte un soutien économique essentiel14. En effet, des flux financiers importants transitent entre les deux pays, grâce aux milices et aux importations de gaz iranien permises par Washington malgré les sanctions existantes15. Ainsi, le retour probable d’une politique américaine de « pression maximale » contre Téhéran afin de limiter son influence dans la région et en Irak pourrait s’illustrer par des sanctions économiques renforcées et un usage élargi du renseignement financier16 visant à affaiblir ses mandataires, notamment les milices chiites irakiennes. Cela engendrerait de lourdes conséquences, d’autant plus si Donald Trump décidait de limiter et conditionner les dérogations permettant l’achat de gaz iranien.
S’agissant des troupes américaines en Irak, l’accord du 27 septembre nécessite l’approbation de la nouvelle administration républicaine. Partisan d’un désengagement militaire des zones de guerre au Moyen-Orient, Trump pourrait poursuivre la réduction des troupes d’Irak s’il estime que leur maintien, y compris dans le cadre d’un partenariat bilatéral, ne répond plus aux intérêts américains. Cependant, les rivalités mondiales et les réalités stratégiques régionales doivent être appréhendées sur le temps long. Un retrait américain d’Irak pourrait offrir une marge de manœuvre à des puissances souhaitant y accroître leur influence, comme la Chine ou l’Iran17. Surtout, il risquerait de créer un vide sécuritaire qui, au vu du contexte régional et de l’instabilité syrienne, pourrait amplifier la menace djihadiste. En effet, vaincu territorialement mais pas sur le plan idéologique, l’EI conserve des capacités en Irak et en Syrie18. La question du désengagement américain est donc centrale, conditionnant un éventuel regain d’instabilité en Irak et dans la région.
- U.S Department of State, «Joint Statement Announcing the Timeline for the End of the Military Mission of the Global Coalition to Defeat ISIS in Iraq », 27 septembre 2024.
- Ibid.
- Jared Szuba, « US, Iraq announce end of defeat-ISIS coalition, but troops may stay », Al–Monitor, 27 Septembre 2024.
- « Trois militaires américains tués en Jordanie : Joe Biden désigne des groupes pro-Iran et menace des représailles », Le Monde avec AFP, 28 janvier 2024.
- « Les États-Unis tuent un chef d’une milice pro-Iran à Bagdad », Courrier International, 08 février 2024.
- « Iraq slams latest US airstrikes on Kataib Hezbollah sites », Al-Monitor, 24 janvier 2024.
- « Irak : fragilisé par une affaire d’écoutes, le Premier ministre al-Soudani garde le cap », RFI, 09 septembre 2024.
- Jared Szuba, op. cit.
- U.S Department of State, op. cit.
- U.S Department of State, « Senior Administration Official and Senior Defense Official on a Transition Plan for Combined Joint Task Force – Operation Inherent Resolve in Iraq », 27 septembre 2024.
- « Le chef de l’État islamique en Irak tué lors d’un raid », Ouest France avec AFP, 22 octobre 2024.
- Michael Knights, « How Washington can salvage Iraq’s Counter Terrorism Service », The Washington Institute for Near East Policy, 03 Décembre 2024.
- Firas Elias, « Les défis de l’Irak face au second mandat de Donald Trump », Centre Français de Recherche sur l’Irak, 22 novembre 2024.
- Adel Bakawan, « Al-Soudani à l’épreuve du Bureau ovale », Centre Français de Recherche sur l’Irak, 13 avril 2024.
- Ibid.
- Michael Knights, « Quelles perspectives pour l’Irak sous l’administration Trump ? », Centre Français de Recherche sur l’Irak, 13 novembre 2024.
- Mohammed A. Salih, « Between activism and isolationism: what to expect from Trump’s Middle East policy », Foreign Policy Research Institute, 15 novembre 2024.
- Virginie Sauner, « Quelles menaces Daech représente-t-il actuellement ? », Centre Français de Recherche sur l’Irak, 06 septembre 2024.