En mars 2025, Genève s’est transformée, pour quelques jours, en tribune mondiale du peuple baloutche. Le président du Mouvement National Baloutche (BNM), Dr Naseem Baloch, y a conduit une campagne diplomatique dense, marquée par la 6ᵉ Conférence internationale sur le Baloutchistan, une manifestation au monument de la Chaise Cassée, et une présence appuyée devant le siège des Nations Unies. Son objectif était clair : briser le mur du silence autour de ce qu’il a qualifié de « génocide lent et méthodique » perpétré par l’État pakistanais contre les Baloutches.

Dans son discours d’ouverture, le Dr Baloch a prononcé des mots lourds de mémoire et de deuil. « Notre terre saigne. La politique du ‘kill and dump’ a transformé notre patrie en un cimetière », a-t-il déclaré à un auditoire international composé de parlementaires, d’intellectuels, de militants et de journalistes. Il faisait référence à la politique non officielle mais largement documentée par les ONG selon laquelle des civils baloutches — militants, étudiants, médecins, journalistes — sont enlevés, torturés, puis exécutés et abandonnés dans des zones désertiques, comme un avertissement aux autres. « Des milliers de nos frères, sœurs, enfants ont été enlevés, torturés, puis abandonnés sans vie dans les zones les plus reculées. Ceux qui restent vivent dans l’attente interminable d’un retour, ou d’un corps », a-t-il insisté.
Cette conférence, organisée par le BNM, s’inscrivait dans une longue histoire de résistance baloutche. Depuis 1948, année de l’annexion du Baloutchistan par le Pakistan — que le Dr Baloch qualifie de « coup de force colonial » —, la population locale mène un combat ininterrompu pour la reconnaissance de ses droits, de son autonomie, voire de son indépendance. Le président du BNM a rappelé à plusieurs reprises : « Ce n’était pas une union volontaire, c’était une conquête. Depuis, nous vivons sous occupation. »
Mais les violences actuelles ne sont pas que lointains échos du passé. En mars 2025, quelques jours seulement avant la conférence, une attaque d’ampleur sur le Jaffar Express, train reliant Quetta à Peshawar, a choqué le pays. L’Armée de Libération du Baloutchistan (BLA), groupe armé séparatiste, a revendiqué l’assaut, au cours duquel des rails ont été dynamités et des passagers pris en otage. Le bilan officiel fait état d’au moins 33 militants tués, 21 passagers morts et plus de 400 otages libérés au terme d’une opération militaire de 30 heures. Le problème, selon les représentants du BNM, est que ces informations ne peuvent être vérifiées. L’accès des journalistes à la région est strictement interdit à toute presse indépendante. « Tout ce que vous lisez sur nous passe par le prisme de nos oppresseurs », a déploré Dr Baloch. « Aucun média libre ne peut entrer. Les caméras qui filment sont celles de ceux qui nous oppriment. »
Cet étouffement de l’information participe, selon lui, à une stratégie de contrôle narratif et de désinformation. Les incidents sont présentés comme des actes terroristes sans contexte, les victimes comme des ennemis de l’État. Le Dr Baloch a insisté sur ce point : « La répression que nous vivons n’est pas une série d’erreurs ou d’abus ponctuels. C’est une politique. Et c’est un crime contre l’humanité. »
L’intervention du leader baloutche a aussi fortement mis en lumière la situation des femmes. Historiquement, les femmes baloutches ont été des figures centrales de la résistance — manifestantes, éducatrices, médecins, poétesses — mais aujourd’hui, elles deviennent des cibles privilégiées. « Les femmes comme la docteure Mahrang Baloch, enlevée et emprisonnée sans procès, ou Sammi Deen Baloch, battue pour avoir protesté pacifiquement, incarnent notre courage. Et pour cela, elles sont attaquées avec une violence redoublée. »
Au-delà des témoignages, la conférence de Genève a donné lieu à un appel à l’action. Dr Baloch a interpellé directement les démocraties occidentales : « Comment pouvez-vous prêcher les droits humains tout en soutenant un État qui les viole systématiquement ? Le silence n’est pas de la neutralité. C’est de la complicité. » Il a demandé que l’ONU dépêche une mission d’enquête indépendante au Baloutchistan, que les ONG internationales intensifient leur couverture de la région, et que les pays démocratiques réévaluent leurs relations avec le Pakistan. « Nous ne vous demandons pas la charité. Nous vous demandons la cohérence avec vos propres valeurs. »
La conférence s’est achevée sur une note d’espoir, portée par les mots du président du BNM : « Malgré les disparitions, les massacres, la douleur, nous sommes encore là. Nous n’abandonnerons pas. Nous ne nous tairons pas. Notre liberté n’est pas une aspiration — c’est un droit. » Et de conclure : « Que cette réunion ne soit pas une simple parenthèse. Qu’elle marque le début d’un engagement nouveau. Pour nos martyrs. Pour les mères qui cherchent leurs enfants. Pour nos filles qui n’ont plus peur des armes. »
L’événement a également réuni de nombreuses voix solidaires : le député britannique John McDonnell, l’intellectuel Reed Brody, la militante Eleonora Mongelli, le vétéran baloutche Mir Mohammad Ali Talpur, ou encore des représentants des mouvements sindhis et pashtouns. Ensemble, ils ont affirmé que la cause baloutche n’était pas isolée mais emblématique des luttes pour les droits des peuples opprimés à travers le monde.