Phan Dung Mai est le nouveau représentant permanent du Vietnam auprès de l’Office des Nations Unies à Genève. L’homme a occupé de nombreux postes notamment auprès de l’Unesco à Paris. Phan Dung Mai est un diplomate aguerri qui parle couramment le français. Son pays s’impose de plus en plus comme un partenaire en Asie sur lequel il faudra compter à l’avenir. Sa nomination coïncide avec cette montée en puissance.
De nombreux pays d’Asie et notamment la Chine accordent une grande importance aux négociations multilatérales qui se jouent à Genève. Est-ce que le Vietnam ambitionne également de faire de Genève une place forte de sa diplomatie?
Le multilatéralisme et l’intégration internationale se situent au cœur de la diplomatie vietnamienne et le Vietnam attache toujours une grande importance aux mécanismes et forums multilatéraux des Nations Unies, de l’Organisation mondiale du commerce… En participant proactivement aux négociations multilatérales à Genève, notamment en tant que membre du Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies pour le mandat 2023-2025, le Vietnam souhaite diversifier ses partenaires internationaux, renforcer l’environnement international pacifique et stable, propice à son développement, ce qui l’aidera à non seulement mieux défendre ses intérêts nationaux, mais aussi à profiter des ressources externes pour le développement durable du pays. La participation de notre pays aux négociations multilatérales lui permet également de prendre sa double responsabilité en apportant sa contribution aux efforts internationaux visant à résoudre de nombreux problèmes auxquels nos pays font face actuellement et aussi à promouvoir la paix et le développement dans le monde.
Le système multilatéral tel qu’il a été bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est aujourd’hui à bout de souffle. On le voit avec la multiplication des conflits. Une réforme du système vous paraît-elle nécessaire ? Quelle forme devrait-elle prendre ?
Le système multilatéral établi après la Seconde Guerre mondiale a joué un rôle crucial dans la prévention des guerres, la promotion de la paix et la coopération internationale pour le développement des nations. Toutefois, la situation mondiale d’aujourd’hui a beaucoup changé, ce qui exige de nouvelles demandes pour le système multilatéral mondial. L’humanité doit faire face à de nouveaux défis tels que le terrorisme, la pauvreté, la sécurité alimentaire, les épidémies, les catastrophes naturelles et le changement climatique… La montée en puissance de nombreux pays émergents a modifié les rapports des forces. En outre, le développement de la science et de la technologie a bouleversé la façon de penser. Des facteurs tels que le manque de confiance, les tendances protectionnistes, le nationalisme exacerbé et le realpolitik sapent également le système multilatéral. Dans ce contexte, une réforme du système multilatéral s’avère non seulement nécessaire mais urgente. Cette réforme doit reposer sur le respect de l’indépendance, de la souveraineté et des intérêts légitimes de toutes les nations. Elle doit promouvoir une participation démocratique et équitable des nations dans les processus décisionnels. Une révision complète du système multilatéral, englobant les domaines de la sécurité, de l’économie, du développement et des finances, est essentielle pour relever les défis globaux et renforcer les intérêts communs de toutes les nations. En parallèle, il est crucial de moderniser et d’optimiser les organisations internationales, en améliorant leur efficacité opérationnelle, en rationalisant les budgets et en réduisant les coûts administratifs. Ce faisant, nous pourrons faire revivre le système multilatéral, mieux répondre aux défis du monde contemporain et promouvoir la coopération mondiale pour le bien de tous.
Vous êtes francophone. Vous connaissez bien notre langue. Est-ce que le français reste une langue prisée des Vietnamiens ou l’anglais a-t-il pris le pas ?
Le français bénéficie d’une position historique forte au Vietnam. C’est vrai qu’à ce jour l’anglais a pris le pas sur le français mais la langue de Molière reste une langue prisée chez nous. On compte aujourd’hui environ 700.000 francophones au Vietnam, soit près de 0.7% de la population du pays. Ces dernières années, le Vietnam a réalisé d’importants progrès dans l’enseignement du français, avec des politiques visant à promouvoir son apprentissage du primaire à l’université, en reconnaissant sa valeur sur le marché de travail. Un rapport réalisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) en 2023 a montré que le français occupe une place de choix en tant que deuxième langue étrangère étudiée après l’anglais. En 2021, les classes bilingues comptent environ 13.000 élèves et en dehors de cela, on estime environ 60.000 apprenants du français dans les différents cycles d’apprentissage au Vietnam. Cependant, le même rapport de l’OIF révèle que malgré des progrès significatifs, le nombre d’apprenants du français au Vietnam reste encore modeste en proportion à la population scolarisée. De plus, bien que le français soit valorisé pour l’insertion professionnelle, les opportunités réelles pour les francophones demeurent limitées. Il faudrait donc renforcer les liens entre la formation en français et les besoins du marché du travail. Le Vietnam est un membre actif de la Francophonie et nous menons en ce moment des actions avec les partenaires que sont l’OIF, l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et les représentations diplomatiques au Viet Nam pour faire valoir davantage le français et rehausser la vitalité et la visibilité de cette langue au Vietnam comme en Asie-Pacifique.
Propos recueillis par l’Observatoire Géostratégique de Genève